Série littéraire // Honiahaka Ep5

La rédaction vous propose un nouveau format littéraire : une fiction inédite publiée en plusieurs épisodes, une à deux fois par semaine. Des fragments de lecture à déguster comme une gourmandise et un feuilletonnage pour se délecter de l'attente du prochain épisode… Première nouvelle fragmentée : "Honiahaka" de Valéry Meynadier. Voici l'épisode 5 à retrouver également sur Instagram et Facebook.

Honiahaka*

Épisode 5

Une nouvelle de Valéry Meynadier

 

Lire l’épisode 4

 

L’impression d’être si peu né. D’être passé à côté de la vie, pas de la mort. Je suis un sac d’organes Madame. Un bel appétit féroce rythme mon estomac, mes intestins… Au milieu des oreilles : un visage androgyne et au milieu des deux jambes un pénis, pas pour vous Madame
Une tequila, deux téquilas et trois et quatre et elle se levait Chavela de son tabouret grinçant, sa luciole tabagique aux lèvres glissait vers ses mains et restait, se consumait jusqu’à lui brûler les doigts. Elle ne sentait plus rien. Elle chantait, hurlait ou murmurait, c’était tout un. Gracias a la vida, que me ha dado tanto.
Je sentais la louve fermer les yeux en moi.
Chavela prenait mes pattes dans ses longues mains mâchées par le temps et chantait jusqu’à la louve endormie. J’attendais mon corps. Il y avait là l’attente de toute une vie. Avec cette femme ivre, la prémonition de mon corps. Allait-il renaître ? La louve rêvait. Chavela savait : un petit garçon se cachait derrière la louve quand la louve se tenait dissimulée derrière un être rompu à jouer la comédie.

 

El Chapo le boss de l’infâme bouge où je trimais me faisait confiance, il me laissait de plus en plus souvent fermer. Il respectait mon secret, il me savait homme, il me savait tueur, il avait empêché que mes mains ne se serrent autour du cou d’un habitué. El Chapo avait son colt planqué dans son gilet, moi j’avais ma fureur millénaire. Dans mes yeux miel et topaze, il avait surpris ma tendre folie en train de me bercer.

 

 

Il partait, me laissait seule avec Chavela ivre-morte, gisante dans la saleté au milieu de la piste de danse. Avec ma gueule, je la tirais contre le mur. Avant, je montais fiévreusement fermer la porte à clef. J’aimais ce tour de clef, garant de notre solitude. Je redescendais entier, homme femme louve enfant et je prenais délicatement la tête de Chavela que je posais sur mes cuisses. À son silence écarquillé d’alcoolique, je confiais ce que moi même j’ignorais. Au fond de son œil surnageait le vide.
Sous la lune noire de Tijuana nous tanguions dans un immense cendrier en cristal, ballottés d’un mot à l’autre.
Cette nuit-là dans ma précipitation, j’avais oublié de tourner la clef dans la serrure. El Chapo ne s’abaissait pas à fermer derrière lui mais il pouvait s’abaisser à écouter ce qu’il n’aurait jamais du entendre.

 

[À suivre dans l’épisode 6]

 

* Honiahaka signifie « petit loup » en amérindien Cheyenne

 

 

Texte : Valéry Meynadier

Illustration : collage C. Chartier

Éditeur : Bancal Livre


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Revue Bancal - Auteur

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