Série littéraire // « Au pied de la lettre » Ép 1

Notre nouvelle série littéraire : une fiction inédite publiée en plusieurs épisodes, une à deux fois par semaine. Des fragments de lecture à déguster comme une gourmandise et un feuilletonnage pour se délecter de l'attente du prochain épisode… La nouvelle "Au pied de la lettre" de Mélissa Bickelhaupt a pour sujet principal une femme qui s'ennuie dans son foyer et qui commence une correspondance avec un prisonnier... Épisode 1 à retrouver également sur Instagram et Facebook.

 

Cette nouvelle est issue de notre recueil de nouvelles « Saxifrages – Fictions carcérales » à commander ici.

 

 

Au pied de la lettre 

Épisode 1

Une nouvelle de Mélissa Bickelhaupt

 

21 novembre
Je n’ai jamais tenu de journal mais aujourd’hui j’ai besoin de coucher mes émotions sur le papier. Je suis sur le point de vivre une expérience unique.
L’homme qui a parlé tout à l’heure à la réunion du Secours catholique s’est voulu rassurant mais il a aussi mis en garde tous les
futurs correspondants de prison qui l’écoutaient religieusement.
Établir un climat de confiance et de respect réciproque. Ne pas trop s’impliquer. Poser des limites claires.
Ils nous ont dit qu’il faudrait attendre un peu à cause de la paperasse. Ça ne me dérange pas, du temps j’en ai, maintenant que
Laurent, mon fils, a quitté le nid. Hormis le ménage et les repas de Bruno, je suis assez disponible. Rien que d’avoir lancé la procédure
administrative, je me sens déjà plus utile.

 

Antoine Baillargeau

 

28 mars
Les mois passent et je n’ai aucune nouvelle de la prison. En préparant les sandwichs de Bruno ce matin, j’ai eu l’impression que le temps, enfin le mien, s’était arrêté. Les mêmes carrés de pain de mie, la même couche de beurre, les mêmes rondelles de salami, les mêmes lanières de cornichon. Alors que je nettoyais la vaisselle, une chanson à la mode passée à la radio a réussi à m’extirper de mon quotidien. Un homme et une femme chantaient à tue-tête Johnny, Johnny, come home.

Le Johnny de mon rêve éveillé est beau.
Un peu abîmé sur les bords, mais pas assez pour être repoussant.
Par amour pour moi, il a braqué une banque et s’est fait prendre sur le chemin du retour. Depuis, il purge une lourde peine qui me laisse éplorée. Nous n’avons pas d’enfants, nous sommes trop jeunes. Alors je me languis de mon bandit dans notre immense demeure canadienne. Pourquoi le Canada ? Je n’en sais rien, je n’y suis même jamais allée – quoi qu’il en soit c’est toujours un décor de forêt de montagnes entourant un lac que je vois de ma fenêtre quand je fais la vaisselle en écoutant la radio. Et je demande à mon
Johnny de rentrer à la maison, je me sens si seule sans lui.
En réalité, mes fenêtres donnent sur l’arrêt de bus.

 

Texte : Mélissa Bickelhaupt

Illustration : Antoine Baillargeau

Éditeur : Bancal Livre

 

 


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Revue Bancal - Auteur

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