Visages, villages, collages

Le documentaire Visages Villages met en scène un duo inattendu : Agnès Varda, icône du cinéma de la nouvelle vague et JR, artiste de street art connu pour ses collages géants à travers le monde. Leur ambition : aller à la rencontre de visages et de villages par le biais de collages sur les murs qui font le quotidien des habitants. La grâce du film naît du regard poétique et fraternel qu'ils posent sur le monde, mais le plus touchant reste la sincérité et la simplicité de leurs échanges avec ceux qu'ils croisent sur leur route.

Le documentaire Visages Villages met en scène un duo inattendu : Agnès Varda, icône du cinéma de la nouvelle vague et JR, artiste de street art connu pour ses collages géants à travers le monde. Leur ambition : aller à la rencontre de visages et de villages par le biais de collages sur les murs qui font le quotidien des habitants. La grâce du film naît du regard poétique et fraternel qu’ils posent sur le monde, mais le plus touchant reste la sincérité et la simplicité de leurs échanges avec ceux qu’ils croisent sur leur route.

Visages, villages, JR et Agnès Varda (juin 2017)

Les deux artistes nous invitent à les suivre dans leur road trip photographique, à bord du camion-photomaton de JR (sorte de studio-photo roulant qui imprime instantanément les portraits en grands formats ; images qu’ils plaquent ensuite sur des façades, des granges, des conteneurs, des châteaux d’eau, des blockhaus échoués sur une plage…). Au-delà du plaisir non dissimulé d’être ensemble, qu’est-ce qui a poussé ces 2 artistes à collaborer ? Quel est le but de leur voyage ? C’est Agnès Varda qui nous éclaire sur le sujet quand, répondant à la question d’un homme admirant le collage de ses petits orteils sur le wagon d’un train de marchandises, elle précise : « Le but du projet ? Le but, c’est de donner le pouvoir à l’imagination. Et aussi de rencontrer des gens ! ». Cette vision sera le fil directeur de toutes leurs réalisations artistiques, le cap de toutes leurs rencontres. Pour ce duo, le monde est un terrain de jeu où chacun peut s’épanouir, laisser libre cours à sa créativité, et surtout faire confiance au hasard (le hasard qui a toujours été le « meilleur assistant » d’Agnès Varda !). D’ailleurs, outre la vision artistique, il est très drôle de voir comment chacun joue et s’amuse à mettre en scène la question du regard (celui d’Agnès Varda est flou à cause d’une maladie, quant à JR c’est à travers le filtre de ses lunettes noires qu’il voit le monde !) pour toujours enrichir celui du spectateur.

La magie de ce petit bijou de film tient à l’enthousiasme et à l’énergie communicative dégagés par Varda et JR. Chez eux le goût de l’échange est sincère, l’envie de « faire avec » manifeste, le désir de partager avec les autres évident. Ainsi expliquent-ils, consultent-ils, informent-ils systématiquement les personnes qu’ils rencontrent. Surtout ils impliquent et rendent chacun co-constructeur des œuvres en les faisant poser, découper et coller leur portrait. Et ça marche ; des villageois réinvestissent avec bonheur les murs d’un lotissement fantôme laissé à l’abandon, des salariés d’une entreprise industrielle regardent avec fierté leur photo de groupe collée sur l’enceinte de leur usine.

Tout au long du film, on les voit confronter leurs idées, se frictionner pour finalement parvenir à s’entendre et à recoller les morceaux (!). Cette tension créative est parfaitement transcrite lors de la sublime scène de la plage en Normandie. Agnès Varda souhaite utiliser une série de photos prises dans la région en 1954, dans laquelle son ami photographe Guy Bourdin jouait les modèles. Après plusieurs tentatives infructueuses pour imposer son idée de lieu (les deux compères ne se ménagent pas, preuve de leur exigence créative), JR par son écoute bienveillante accouche les besoins et intentions profondes de son aînée : plus que le lieu, sa démarche est mue par le désir intime de rendre un hommage à son ami disparu. Il va alors lui parler d’une plage environnante, fréquentée pendant son enfance. Le blockhaus tombé d’une falaise et échoué sur la plage, sera l’écrin de ce vibrant hommage. Et c’est ensemble qu’ils choisiront le cliché du collage.

JR, le petit jeune, regarde Agnès Varda et ses 87 printemps avec une grande tendresse et un profond respect pour sa carrière. Agnès Varda, l’ancienne, le regarde avec curiosité et admiration pour son talent, son énergie et ses valeurs humaines. Elle est toute petite et lui, tout grand. Lui tout jeune, et elle, toute vieille.  Quand JR accepte (enfin) d’ôter ses lunettes pour lui faire plaisir, Agnès Varda lui glisse cette petite phrase : « Je te vois flou, mais je te vois ». Autrement dit : je te reconnais, je te considère pour ce que tu es. Reconnaître les autres pour ce qu’ils sont, ce qu’ils font. Faire tout simplement l’effort, l’expérience de se rencontrer. Pour faciliter les rencontres authentiques, l’enjeu est de prendre le risque de se révéler, de petit à petit tomber les masques comme JR qui abandonne temporairement ses lunettes noires. Comme les larmes de déception de Varda, blessée par son ami de longue date, Jean-Luc Godard qui lui fait faux bond. JR et Varda animés d’un optimisme inébranlable ne parviennent pas tout à fait à lui en vouloir, car au final, ce génie du cinéma leur a fait cadeau d’une scène de fin aussi inattendue que sublime.

Inspiré de l’article Cinéma & Management / Le film « Visages villages » de Sébastien Ramos

Visages villages, documentaire français de JR et d’Agnès Varda (juin 2017)

 

 


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Revue Bancal - Auteur

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