Roman // Vernon Subutex

Dans son roman Vernon Subutex, qui vient de sortir au format poche, Virginie Despentes ausculte la crasse des bourgeois de Paris, de ces gens brutaux et bien élevés, vernissés d’intelligence, si propres sur eux, voire élégants, si doués pour maquiller en nécessité la violence et l’humiliation qu’ils exercent avec perversité sur les autres, mais aussi, sans le savoir, sur eux-mêmes.

J’avoue, je n’aimais pas trop la complainte binaire des premiers romans de Virginie Despentes, un son joliment grunge mais des vibrations souvent trop acides. Magnifique surprise, avec ce roman parfaitement construit, Despentes va aux entrailles. Elle torture la musique profonde de notre société, les accords cassés. Son chant cru nous transporte au cœur de la convulsion d’un siècle qui finit et commence mal, une cruelle polyphonie amère. Telle une archéologue urbaine, elle creuse les ruines du siècle, à la recherche des lignes de fracture, des stratigraphies cachées de l’anxiété.

 

C’est l’histoire de Vernon, ancien disquaire, homme libre et pur, un anar insouciant, tout droit sorti du 20e siècle. Un mec idéaliste un peu paumé qui regarde mourir sans réaction les choses, ses amis et sa propre histoire fantomatique. Il ne sait pas jouer le jeu ou faire semblant. Seule la musique le tient debout face au dérisoire, cette musique qui traverse de bout en bout le livre. Vernon est d’un autre temps. Vernon est resté bloqué au siècle dernier, quand on se donnait encore la peine de prétendre qu’être était plus important qu’avoir.

 

Géographie des peurs, Vernon Subutex nous conduit dans la lâcheté du siècle. Dans la lignée d’Hugo, Zola et Balzac, Despentes ausculte la crasse des bourgeois de Paris, de ces gens brutaux et bien élevés, vernissés d’intelligence, si propres sur eux, voire élégants, si doués pour maquiller en nécessité la violence et l’humiliation qu’ils exercent avec perversité sur les autres, mais aussi, sans le savoir, sur eux-mêmes.

 

Des enfants maudits de la banque, du Dow Jones et de Karl Marx, dressés comme des roquets au cynisme et à l’égoïsme de classe, campés sur leur territoire, aux pauvres miséreux de la rue, résignés et paumés, ce livre sent la sueur d’une société fatiguée.

 

Ici, la vie ne fait pas de cadeau, dans un premier temps, elle t’endort en te faisant croire que tu gères et, sur la deuxième partie, quand elle te voit détendu et désarmé, elle repasse les plats et te défonce.

 

Roman profondément politique, sa colère nous fait du bien et Virginie Despentes ne se trompe pas de combat. Elle sait encore faire la différence entre les brutes et les gentils, la cruauté et le respect. Il flotte une grande mélancolie et une vraie tendresse dans ce beau livre. Les scènes de fin sont saisissantes. Merci Virginie !

 

Patrick Emourgeon

 

Vernon Subutex 1, de Virginie Despentes, Editions Grasset (2015)

 


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Revue Bancal - Auteur

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