Théâtre // L’exception de Jacky Katu

La pièce "L'exception", de Jacky Katu, formidablement interprétée par Sandra Duca, est un texte tiré du livre « Refus de témoigner » de Ruth Klüger, née à Vienne, juive, déportée avec sa mère. Elle sortira de cet enfer pour émigrer aux Etats-Unis en 1945. Seule sur scène, une petite fille nous raconte son quotidien et s'interroge, nous interroge, sur le deuil, l'acte de témoigner, et la mémoire.

« J’ai fait l’expérience de « l’acte pur ». Ecoutez et ne le contestez pas mesquinement, mais prenez-le comme c’est écrit ici, et retenez le bien. »

Ruth Klüger

 

Quand le temps se prête au jeu

 

C’est avant tout une histoire de présence. D’acte de présence.
L’act-rice Sandra Duca nous invite à un acte de présence extrême. Un acte nu, rien que la présence de l’acte. Il faut le voir, bien sûr, comme on regarde à travers les interstices du temps.
Sur la scène, quelqu’un traverse le mur de l’espace temps…

 

Nous voici face à une fillette, née à Vienne & avec sa mère, mortes à Theresienstadt, à Birkenau, à Christianstadt, à Auschwitz… presque mortes…
Nous ne sommes plus au théâtre. La mise en scène de Jacky Katu, sobre, dépouillée, nous déporte au cœur d’une humanité sans humanité. Ni musique, ni décors, pas d’objet, rien que le silence comme acteur bis, qui prend corps sur le corps de la comédienne, Sandra Duca. Greffe qui fait entendre tous ceux qui n’en sont pas revenus.
Cris silencieux, jetés à la face de la salle.
Quand le langage fait défaut, le corps prend la relève.
On peut entendre alors, Le Cri, d’Edvard Munch. On peut voir aussi la bouche tellement s’affiner qu’elle disparaît.
Le corps de la comédienne immergé dans un pyjama rayé épouse l’Histoire avec un grand H !

 

« Je ne veux pas mourir ici », se répète inlassablement la fillette. Alors, elle se récite des poèmes de Schiller, elle se raconte son histoire à elle, avec un petit h : « Je préfère penser que mon père s’est suicidé (c’est facile pour un médecin), plutôt que de l’imaginer dans les chambres à gaz à piétiner les enfants…non… C’est la seule façon que j’ai de lui rendre hommage ». Elle parle avec sa mère, se querelle souvent avec elle. Elle s’interroge, pourquoi les femmes juives ne peuvent pas dire le kaddish, la prière des morts ? Comment dès lors « porter le deuil de ses fantômes » ?
En 1945, Ruth Klüger et sa mère réussissent à s’enfuir au cours de la retraite nazie.

 

À voir d’urgence pour penser hier & aujourd’hui… C’est quoi être victime ?
Peut-on se faire prendre en photo, avec un grand sourire, devant une ruine de chambre à gaz, à Birkenau ?
Je me souviens ou je m’informe ?
A l’heure du stockage des données, quand l’oubli devient chose rare, entre mémoire vive & mémoire morte, où en sommes nous ?

 

Les éditions Viviane Hamy, viennent de rééditer : Refus de témoigner, augmenté d’un texte inédit, La Mémoire dévoyée : kitsch et camps.

 

valérY meYnadier

Décembre 2019

http://www.m-e-l.fr/,ec,1323

 

L’exception, mise en scène de Jacky Katu, d’après le livre autobiographique de Ruth Klüger « Refus de témoigner », au théâtre de la Contrescarpe, les 14 et 28 décembre à 14h30


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Revue Bancal - Auteur

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