La vie de Charlotte, bien que très célèbre en Allemagne, reste à ce jour un mystère. Charlotte, née homme en 1928, est une figure provocatrice et rebelle qui porte fièrement son originalité et son identité singulière. Charlotte traverse en résistante et en survivante les deux régimes de l’Europe du XXe siècle les plus répressifs et criminels envers les homosexuels et les travestis – le nazisme et le communisme. Pendant toute sa vie, Charlotte sauve des meubles anciens, menacés de destruction par les autorités, et les collectionne au sein d’un musée ouvert au public et qui servira dans les années 50 de refuge aux homosexuels et aux artistes allemands comme un cabaret clandestin. Après la chute du mur, elle est décorée de la croix fédérale du Mérite en 1992 mais voit son image entachée par la divulgation par la presse de ses rapports ambigus avec la Stasi.

Avec sa longue robe et sa barbe noire, Thierry Lopez incarne un personnage transgenre qui ne triche pas et qui assume pleinement son étrangeté et ses multiples facettes. Virevoltant, dansant et chantant sur scène, l’acteur campe une femme assoiffée de liberté et d’allégresse qui contraste avec les heures sombres que connaît alors l’Allemagne. On découvre aussi un être touchant, précieux et délicat, comme les meubles rares de son musée, fragiles et menacés comme lui de destruction : « Je suis mes meubles. » On retiendra enfin l’image d’une femme forte et courageuse qui, sans jamais se renier, sans jamais cesser d’être elle-même, a dompté deux dictatures liberticides et mis à distance les lions sanguinaires et violents qu’elle a croisés.

Le ton léger et caustique, la succession des personnages aux accents changeants et l’énergie de l’acteur rendent la pièce très rythmée et souvent drôle malgré le contexte dramatique. L’enquête des deux américains est d’autant plus captivante qu’elle nous fait revivre les grandes périodes de l’histoire de l’Europe. Malgré les zones d’ombre, la vie de Charlotte est exemplaire et très inspirante : sans jamais s’opposer frontalement, en contournant le système et en restant fidèle à ses valeurs, Charlotte est passée entre les gouttes. Une figure inébranlable au milieu de la tempête, jusqu’à la fin de sa vie.

Céline

Ich bin Charlotte, de Doug Wright, adaptation de Marianne Groves, avec Thierry Lopez, mise en scène de Steve Suissa, au théâtre de Poche-Montparnasse, du mardi au samedi 21h, dimanche 15h

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