Théâtre contemporain

Morgane Lory est directrice artistique de la compagnie Don des Nues. En 2014, elle crée Cette Personne-là, une performance hypnotique pour public allongé (Théâtre de la Loge, critique à lire ici). Revue Bancal a rencontré cette artiste guidée par l'expérimentation théâtrale et qui a accepté de nous livrer sa conception du théâtre contemporain et du processus d'écriture.

Rencontre avec Morgane Lory, auteure et metteure en scène

Morgane Lory est directrice artistique de la compagnie Don des Nues. En 2014, elle crée Cette Personne-là, une performance hypnotique pour public allongé (Théâtre de la Loge, critique à lire ici). Revue Bancal a rencontré cette artiste guidée par l’expérimentation théâtrale et qui a accepté de nous livrer sa conception du théâtre contemporain et du processus d’écriture.

La compagnie Don des Nues

Comment en arrive-t-on à se lancer dans une carrière théâtrale après fait avoir des études à Sciences Po ? J’ai découvert la mise en scène pendant mes études à Sciences Po. (Master gestion des entreprises culturelles) et j »ai immédiatement adoré cet endroit de travail. Puis j’ai passé une année en Moldavie dans le cadre de mes études. J’y ai rencontré des acteurs et metteurs en scène qui vivaient pour leur passion, malgré l’absence de moyens, il m’ a semblé que je n’avais aucune raison de ne pas tenter ma chance en France. Dès lors il a été clair que j’allais tenter de faire du théâtre mon activité professionnelle.

Cela signifie-t-il que le théâtre peut être pensé comme une passerelle entre le monde de la fiction et celui réel de la politique ? Je crois que le théâtre est un des arts les plus politiques qui soient. Ne serait-ce que par sa naissance et sa fonction initiale au sein de la Cité, le lien est assez évident entre cette activité et un intérêt pour le politique ou l’organisation de la vie sociale.

De quelle façon le théâtre participe-t-il du politique ? Je suis actuellement une formation continue à la mise en scène au Conservatoire (CNSAD) avec d’autres jeunes metteurs en scène et la dimension politique de nos choix artistiques revient souvent dans nos questionnements. Cette dimension était très présente dans des pièces comme Fragments d’un temps bientôt révolu, qui questionne le rapport au travail, à la famille, au vivre ensemble, à la position qu’on occupe dans une société à un moment donné. Ou encore dans Les Forces Contraires, qui procédait d’une démarche quasi-documentaire, puisque j’avais travaillé à partir de procès-verbaux de Comité d’Entreprise pour mettre en lumière les rapports de force au sein de l’entreprise. J’étais à cette période dans une réflexion très explicitement politique, ce qui est moins le cas dans Cette Personne-là. A chaque fois qu’on termine un projet, on ressent une sorte d’effet pendulaire. Quand on a beaucoup travaillé sur une thématique, on est tenté d’aller vers quelque chose de différent. Ces deux dernières années, j’ai eu l’envie de travailler dans une direction plus poétique, plus abstraite, en tout cas moins située socialement, où la définition de l’être est moins liée au travail, aux rapports de forces qui structurent nos sociétés. Mais je sais que j’y reviendrai…

Comment est née votre compagnie le Don des Nues ? J’ai créé cette compagnie pour pouvoir diffuser une création née dans le cadre d’un atelier d’école théâtrale. La spécificité du Don des Nues est d’être vraiment liée à l’écriture contemporaine et de monter des projets écrits en son sein – puisque j’en suis à la fois l’auteur et le metteur en scène. Positionnement dont j’entends ne pas sortir pour l’instant car ce qui m’intéresse, c’est de travailler et de réfléchir sur ce que signifie écrire pour le théâtre aujourd’hui.

D’où la création d’un laboratoire ? Tout à fait, avec les acteurs et l’équipe artistique de la compagnie, nous avons créé un Labo en 2011 que l’on a ouvert à d’autres artistes, réalisateurs, photographes, etc. Nous nous voyons régulièrement pour travailler sur différents formats, tester des méthodes de travail sans objectif immédiat de diffusion … Cette personne –là a d’abord été testée dans le cadre du Labo. Quand on sent qu’un projet est en train d’y naître et qu’on souhaite le pousser plus loin, on le sort du Labo pour le diffuser. Mais le Labo en lui même reste le lieu d’une recherche expérimentale.

Comment expliquez-vous cette volonté d’aller vers des formes expérimentales ? Ca s’impose à nous, dans le cadre de notre projet de travail. Ma posture d’auteur et metteur en scène m’oblige à me poser des questions liées à l’écriture de plateau : qu’est-ce qu’écrire pour le théâtre aujourd’hui ? Faut-il arriver avec un texte comme matière première ? A quel point résout-il tout ou partie du spectacle ? Joris Lacoste, dont le travail m’intéresse beaucoup, a justement écrit un article intitulé le texte de théâtre n’existe pas (dans la revue Théâtre public) où il pose la question de la place du texte dans la création contemporaine. Pendant des années, l’écriture théâtrale était essentiellement perçue comme un genre littéraire : ce qui comptait c’était l’objet-livre publié à terme. Aujourd’hui certains textes de théâtre n’ont pas nécessairement d’intérêt en eux-mêmes, ils sont parfois presque « illisibles », comme certains scénarios de cinéma. Ce qui compte alors, et c’est précisément ce qui m’intéresse, c’est le spectacle : comment créer une forme théâtrale qui naisse de l’écriture mais aussi de la scénographie, de la lumière, d’un rapport au corps, au plateau et à l’espace. La plupart des textes que j’ai écrits ne sont pas aboutis à l’état de matière pure d’écriture, il faut faire un effort de projection pour entrevoir une ligne dramaturgique, un rapport au jeu. Souvent les transitions ne sont pas écrites. Elles s’écrivent au plateau. Pour nous, la dimension d’expérimentation et de laboratoire est nécessaire à la création parce que le texte n’est qu’un des éléments du spectacle. Il y a toute une part du spectacle qui doit s’inventer avec l’ensemble de l’équipe artistique. Cette Personne-là fait un peu exception de ce point de vue car c’est un poème.

Envisager ce travail d’expérimentation en laboratoire avec un texte dont vous ne seriez pas l’auteur, et qui donc serait abouti, vous parait-il envisageable ? Dans l’absolu ça l’est, mais pour l’instant j’ai envie travailler à partir d’une proposition écrite dont je suis à l’initiative. Derrière la notion d’écriture de plateau, beaucoup de manières de travailler et d’explorations sont possibles. Si je prends le cas de Joël Pommerat, qui est aussi un de mes maîtres, quand il arrive sur des sessions de répétition, il n’a quasiment rien écrit, ses pièces s’écrivent au plateau à partir de propositions qu’il fait et des improvisations des acteurs. Quand nous commençons un travail de répétition, nous partons d’une base textuelle assez importante, dont une part est à résoudre collectivement. On travaille par exemple en ce moment sur un projet qui s’appelle Schizophonies : partition impossible, où le texte en lui-même est partitionné, c’est-à-dire qu’il y a une colonne de gauche et une colonne de droite. Dans la colonne de gauche, j’ai noté des pensées, des extraits que j’avais entendus à la radio ou que j’avais lus, des idées pour l’équipe artistique. Et sur la colonne de droite, je propose des fictions qui partent de manière plus ou moins éloignée des propositions théoriques consignées dans la colonne de gauche. Cette proposition est née de la volonté de travailler sous forme de laboratoire. L’objet en lui-même est inmontable du fait de la coexistence des textes. La fiction (colonne de droite) ne peut se construire que parce que les questions de la colonne de gauche se posent, que l’équipe s’en empare et que l’on tente d’y répondre ensemble. On est vraiment dans une logique où l’objet textuel n’est plus qu’une matière première, un des matériaux mis à disposition pour créer un spectacle. Plus ça va et plus on s’éloigne du texte comme objet-livre.

Ce qui n’est pourtant pas le cas de Cette personne-là En effet, Cette personne-là est un poème qui s’inscrit dans la tradition théâtrale des textes versifiés. Contrairement à la plupart des textes que j’ai écrits, où je ne suis pas du tout dans la sacralisation, et où les comédiens ont une certaine latitude pour s’approprier leur texte, quitte à le modifier, avec Cette personne-là ce n’était pas possible d’avoir cette liberté. Le vers induit son propre rythme, notamment à travers le souffle. Lors des répétitions nous avons beaucoup travaillé sur les respirations et les sonorités, pour que le rythme soit entendu et transmis. Bien que la pièce puisse paraître désincarnée, puisqu’on ne voit pas l’acteur, ce travail passe éminemment par le corps, car la respiration et la versification imposent que l’acteur soit traversé par l’écriture. La forme poétique induit cette implication organique. Nous avons travaillé à certains égards comme on travaille l’alexandrin, en cherchant à faire résonner dans le vers les brèves et les longues. Quand l’acteur dit par exemple « la reconnaissez-vous quand elle se livre / Quand elle se donne à entendre », le « i » de « livre », doit avoir une durée, une temporalité. Cela dit, ce n’est pas un travail sur la langue comme peut le faire Claude Régy où le traitement de la poésie amène à une déconstruction du langage. Je voulais que Cette personne-là reste fluide dans le récit, concret dans la diction même s’il est très précis au niveau de la partition que l’acteur se doit de respecter. L’objectif de ce travail était de proposer un processus immersif – ce qui induit selon moi un rapport au texte relativement cadré, avec peu de place pour l’improvisation. Il y a ces deux directions dans la compagnie, d’un côté une volonté de travailler sur l’énergie du collectif d’acteurs, dans un rapport assez immédiat aux spectateurs et à la situation théâtrale, de l’autre la volonté de continuer à creuser cette question de la conscience modifiée, du théâtre mental. Avec Cette personne-là on a poussé l’expérimentation le plus loin possible sur ce dernier aspect. Cette ligne esthétique se retrouvera très certainement sur le prochain spectacle mais au milieu d’une mise en scène théâtrale plus habituelle, avec des acteurs au plateau, etc.

Propos recueillis et retranscrits par Marie.

Biographie : Titulaire d’un Master en Sciences politiques, Morgane Lory commence la mise en scène dans le cadre universitaire et crée plusieurs spectacles qui seront primés au Festival de Sciences Po (Pour Un oui ou Pour un Non de Nathalie Sarraute, et Arcadia de Tom Stoppard). En 2002, elle passe une année en Moldavie durant laquelle elle met en scène Les Justes d’Albert Camus (créé à Nancy en 2003, avec le soutien du Théâtre National de Moldavie, de l’Alliance Française et du CDN de Nancy.) En 2005, elle met en scène Fuck You Eu.ro.pa ! de l’auteure moldave Nicoleta Esinencu lors du Festival « Passages » à Nancy. Elle reprend une formation théâtrale en 2005 au sein de l’Atelier Théâtral de Création (ATC) à Paris. Elle crée la compagnie Le Don des Nues en 2008, au sein de laquelle elle écrit et met en scène J’ai fui les Eglises (2008), Fragments d’un Temps bientôt Révolu (2010), les Forces Contraires (2011). En 2012, elle met en scène la conférence performée Hypnotiseurs et sorcières : pouvoir, marginalité et émancipation à partir du texte de la critique d’art Vanessa Desclaux. En 2014, elle travaille sur la création de Schizophonies : partition impossible et de Cette Personne-là, performance hypnotique pour public allongé (création en mars 2014 – Théâtre de la Loge). Membre de l’atelier d’écriture du théâtre de Gennevilliers, elle participe, en 2010, à Une (micro) histoire économique du monde, dansée créée par Pascal Rambert, et joue dans la reprise d’Armide de Lully (mis en scène par Pascal Rambert). Intervenante à l’ATC de 2008 à 2011, elle y anime des ateliers d’écriture et de direction d’acteurs. Elle collabore régulièrement avec d’autres compagnies (Cie MKCD – Cie Etre là) et est membre du collectif  pluridisciplinaire Le Labo. Depuis octobre 2013, elle suit en tant qu’auditrice la formation continue à la mise en scène proposée par le Conservatoire National Supérieur d’Art dramatique.


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Charlotte PALMA - Auteur

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