Série littéraire // Honiahaka Ep1

La rédaction vous propose un nouveau format littéraire : une fiction inédite publiée en plusieurs épisodes, une à deux fois par semaine. Des fragments de lecture à déguster comme une gourmandise et un feuilletonnage pour se délecter de l'attente du prochain épisode… Première nouvelle fragmentée : "Honiahaka" de Valéry Meynadier. Voici l'épisode 1 à retrouver également sur Instagram et Facebook.

Honiahaka*

Épisode 1

Une nouvelle de Valéry Meynadier

 

« Le mort est encore présent : tout le passé lui appartient. L’unique manière de ne plus exister est la folie. Seul le fou est absent. » Mia Couto

 

J’existe dans le plus bel endroit du monde au bord de la baie de San Francisco mais je ne profite pas de la vue, ma cellule n’a pas de fenêtre. Je suis au pénitencier de l’État de Californie de San Quentin. En face, l’île d’Alcatraz, transformée en prison, aujourd’hui transformée en musée carcéral. Le touriste peut y essayer des menottes, très excitant, se faire enfermer, très excitant. Les plus grands criminels y ont été incarcérés, Al Capone, Robert Stroud, et d’autres ; moi, je ne suis que Davis Kawk, 56 ans.

 

Dans le rêve de cette nuit, j’avais 10 ans. Je nageais sous l’eau dans une piscine. Quand je remontais, il y avait un toit qui m’empêchait de reprendre mon souffle. Toutefois, il y avait des petites fenêtres alguées au bord de la piscine, c’est là que je reprends mon souffle avant de redescendre en profondeur. Un homme alors me poursuit m’attrape par le dos et m’oblige à frotter mon sexe contre quelque chose, j’étouffe pour de bon. Je me retrouve attaché à un totem. Une louve me cherche, me voit, desserre mes liens. L’homme revient et nous tire dessus avec des balles à blanc, des balles d’oubli dans nos cerveaux paniqués.

 

 

 

 

Ce que j’ai fait ? Pourquoi je suis dans le couloir de la mort ? J’ai oublié.

 

J’aurais préféré la chambre à gaz plutôt que la chaise électrique. C’était comme ça jusque dans les années 90. Trois individus derrière un mur appuyaient sur des boutons reliés à des tuyaux et paf, ils déclenchaient le Zyklon-B mortel. Seul l’un des trois boutons était relié au poison, laissant ainsi le doute sur l’identité du bourreau. Y sont malins les amerloques, de grands innocents.

 

J’ai toujours dit que j’étais innocent. À mon père tout d’abord, j’avais 10 ans. Papa non s’il te plait. Lui, l’innocence, c’était sa potion magique. Son rajeunissement. Il adorait ça. Il en devenait innocent à ses propres yeux. Pourtant, il a pas vécu bien vieux malgré ses froti-frota-couillonades sur mon dos et pas que sur mon dos. Certains gosses du voisinage en ont plein la mémoire de sa jouvence crasseuse.

 

Par un jour de lune noire alors qu’il rentrait chez lui passablement pochardé (abonné à la picole, mon père) – Aïe ! – il a eu beau s’accrocher à la rampe, elle avait été passée au savon et les marches glissaient.

 

[À suivre dans l’épisode 2]

 

* Honiahaka signifie « petit loup » en amérindien Cheyenne

 

Texte : Valéry Meynadier

Illustration: collage C. Chartier / peinture David Kockney

Éditeur : Bancal Livre


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Revue Bancal - Auteur

Commentaires


  1. beaucoup de style !

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