Scène // Pour en finir avec la mascarade

La performance Pour en finir avec la mascarade de Morgane Lory est de retour sur le plateau de la Reine Blanche du 20 au 23 mars pour notre plus grand plaisir ! Combinant propos théorique et autofiction, la proposition de la dramaturge et comédienne, à la fois réincarnée et revisitée, questionne la place de la comédienne, le rapport au théâtre et à la temporalité. Morgane Lory revient sur le processus de réactualisation de cette œuvre.

Tu reprends Pour en finir avec la Mascarde une pièce d’autofiction écrite il y a quatre ans, comment tu l’appréhendes ?

ML : Ces quatre années de recul me permettent de mieux cerner les enjeux de notre recherche formelle autour de l’autofiction théâtrale : comment le fait d’incarner ses propres carnets génère une confrontation entre le figé (le texte, qui a une valeur d’archive) et le non-figé.

En termes de jeu, cela questionne ma capacité à trouver le juste endroit de présence et de parole, au sein d’une dynamique entre celle que j’ai été (lors de l’écriture) et celle que je suis au moment de la représentation. Qu’est-ce qui se réactive, même si les endroits de résonance peuvent se décaler au cours de l’incarnation ? Que faire de ce qui n’est plus d’actualité, comment intégrer ce qui est advenu – et comment rendre visible ce processus d’actualisation ?

 

Tu sens la justesse de cette actualisation dans le corps ?

ML : Je le sens émotionnellement. Par exemple, une des premières phrases que je dis sur scène est : « Mon mari me dit : « toi en ce moment tu as envie d’écrire. » Moi en ce moment j’ai peur d’écrire ». C’est ce que j’ai écrit il y a quatre ans. Aujourd’hui, je n’ai plus exactement les mêmes préoccupations. Donc si je m’écoute, je n’ai plus envie de dire cette phrase, mais j’ai envie de dire autre chose.

Tout le travail dramaturgique au sein de cette autofiction, c’est de se demander ce qui est le plus important : est-ce que c’est ma réalité du moment ? Ou ce qui était conté au moment de l’écriture doit-il rester prioritaire ? Faut-il faire exister ces deux temporalités ? Quand j’ai écrit ce texte, j’avais un enfant, aujourd’hui j’en ai deux. Dois-je tenir compte de cet événement ? A quel point est-il nécessaire d’être proche de la vérité des faits ?

Ce travail nécessite de trouver un équilibre entre l’envie de l’interprète-créatrice et le respect de quelque chose qui ne lui appartient plus tout à fait, une œuvre qui continuera à exister sans elle.

C’est ce jeu avec la réalité que nous cherchons à mettre en scène, ainsi que la question de l’identité de cette femme, qui devient une pure construction narrative. Or cette construction est liée à une personne réelle, présente devant les spectateurs et qui expérimente avec eux la transformation de son vécu en fiction.

Quand nous avons repris les répétitions, avec Romain Pichard, qui est mon collaborateur artistique sur cette forme, nous nous sommes demandé si nous devions considérer ce texte comme une pièce de théâtre dans laquelle il me faudrait me fondre pour « re-devenir » cette femme dont je parle. Il s’agirait alors de mettre en place un rapport à la fiction relativement classique. Ou bien considérer que notre enjeu est précisément de confronter la personne, en perpétuelle évolution, à son propre texte, et de travailler sur les endroits de tensions, d’explosion, voire de réécriture nécessaire.

 

Et de mettre en évidence les couches successives…

ML : Et de mettre en évidence les strates de présent. L’identité est de toute manière narrative. On réinvente sans cesse son identité par le récit de soi. Ce qui nous éclate le plus, c’est clairement cette dernière option : prendre le risque de déstabiliser la forme, de la fragiliser, pour aller vers quelque chose de plus complexe, et assumer la dimension expérimentale d’une forme théâtrale qui à chaque étape requestionne la mise en présence de l’interprète, du texte et des personnes en situation de le recevoir.

Il y a beaucoup de définitions possibles du théâtre, au fond celle qui m’intéresse le plus aujourd’hui c’est celle-là : le théâtre comme mise en présence.

J’ai le sentiment que c’est une des chances du théâtre aujourd’hui. En matière de fiction, le théâtre est bien souvent battu par d’autres média, le cinéma, les séries, etc. L’épopée Shakespearienne est plus sur Netflix que sur les plateaux de théâtre. Mais ce que le théâtre a fondamentalement et que Netflix n’apportera jamais, c’est la mise en présence. Quelqu’un vient mettre son corps en jeu et incarne une identité à la fois réelle et fictive, face à d’autres gens dans un moment partagé. C’est cet endroit du travail qui m’intéresse en tant qu’artiste underground. Parce qu’évidemment cette question est liée aussi aux moyens de production.

 

Et ce travail de réactualisation, tu  envisages de le montrer au spectateur ?

ML : Oui. Cela part de la volonté d’expliciter un processus en cours. Si j’emploie le terme d’autofiction c’est qu’à titre personnel, je suis fan d’autofiction littéraire. Chez des auteurs comme Annie Ernaux (même si elle récuse le terme d’autofiction, et parle plutôt d’écriture du réel) et Emmanuel Carrère, il y a un point commun : c’est l’explicitation de leur démarche et de leur processus d’écriture. J’adore ça en tant que lectrice et cela me paraît très démocratique. C’est une manière de donner les outils à d’autres.

Quand je dis que le théâtre vit une chance aujourd’hui à travers ces formes qui mettent en jeu l’identité ou la réalité de l’interprète, c’est aussi tout simplement que la sociologie est passée par là. Forcément l’évolution des sciences humaines impacte et affecte la manière dont on produit de la fiction aujourd’hui. Je pense qu’on a de plus en plus envie de savoir d’où parle la personne et de déplier cette complexité du réel et des identités.

C’est aussi ce qui donne aux séries une forme de puissance car elles ont une capacité de déploiement qui permet de donner à voir les conditions d’existence, les liens entre les personnes, etc. En tant qu’artisan.e.s de théâtre, on doit réfléchir à notre capacité de déploiement de ces strates, dans un temps qui est assez court et avec une certaine  pauvreté de moyens.

 

Cela ouvre donc des dimensions nouvelles à l’œuvre de départ, maintenant ça questionne non seulement la place de la comédienne, mais ça questionne aussi plus largement le théâtre, la temporalité.

ML : Oui, ça questionne de manière encore plus explicite la forme. Qu’est-ce que créer un spectacle, qu’est-ce qu’incarner ?  Ces questions étaient déjà présentes dans l’œuvre de départ mais plus sous-jacentes. L’actualisation de l’œuvre est une ligne dramaturgique qui n’était pas conscientisée au moment de l’écriture. Plus je m’en éloigne et plus elle devient importante. Ça me donne des perspectives extraordinaires, j’aimerais jouer ce texte à plus de 50 ans, quand parler de mes enfants en bas âge sera beaucoup moins plausible…

 

Concrètement qu’est-ce que cela modifie ?

ML : Dans cette version, j’ai introduit un texte de Pasolini qui par sa puissance poétique résume beaucoup de questions que j’avais envie d’aborder. L’arrivée de nouveaux textes peut aussi avoir pour conséquence de rendre certains textes caduques. La poésie permet d’aborder des questions fondamentales, autour du mystère de l’existence sans entrer dans l’anecdotique de ma propre intimité. Opérer cette différence entre l’intime et l’intimité était déjà une question essentielle à la création. Elle l’est à chaque étape de l’actualisation.

 

Propos recueillis par Marie

 

Pour en finir avec la mascarade, du 20 mars au 23 mars à 19h à la Reine Blanche

La représentation du 21 Mars 2019 sera suivie d’un bord plateau en présence de Raphaëlle Doyon, maîtresse de conférences au département Théâtre, Université Paris 8. Ses recherches portent sur le genre et le théâtre.

Conception et jeu : Morgane Lory
Scénographie et vidéo : Ophélie Bignon
Création sonore : Matthieu Canaguier
Création lumière : Marinette Buchy
Collaboration artistique : Romain Pichard
Régie lumière : Louise Billot-Grima


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Marie Bationo - Auteur

Marie est éditrice et co-fondatrice de la revue Bancal.

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