Saxifrages // Atelier d’écriture #5 à Fresnes

Les ateliers d'écriture financés par la vente de notre livre « Saxifrages - Fictions carcérales » ont commencé le 2 mars dans la prison de Fresnes. Réunissant un petit groupe d'hommes, ils sont animés par l’écrivaine Valéry Meynadier et portent sur la correspondance, le lien épistolaire avec l’extérieur. Les écrits s’appuieront aussi sur notre recueil de nouvelles. Chaque semaine, nous publierons un compte-rendu des séances avec quelques extraits des textes des participants.
Photographie ©Teun Hocks

Atelier #5

Circuit de paroles, cadavre exquis

13 avril 2022

 

Presqu’une heure d’attente sur la coursive, à mater la surveillante en train d’oublier l’atelier d’histoire-géo / aux oubliettes aussi l’atelier d’écriture / idem, l’association Faire/ même une jeune femme du SPIP, oubliée elle aussi.
À s’oublier elle-même à force d’oubli, la surveillante…
Madame, êtes-vous là, houhou ?!!

J’ai du mal à garder mon calme, je vais la voir une fois, une seconde fois, il était une fois.
Dans mon coin, sur la coursive, je me raconte une histoire. Cinq gars autour d’une table. Ils font des origamis magiques, ils crèvent le plafond de la taule, & s’envolent,
sous leurs ailes, leur animatrice préférée !
Ça sert à ça, les histoires, à trouver le calme pour cette fois ci, autrement, je m’en irais te la secouer, la surveillante…

 

Ils arrivent !
On monte au troisième étage.
Ils sont cinq. Le temps qu’ils se mettent dans le bain du silence & de l’encre… Ça va prendre du temps & peu de temps à disposition.
Le dispositif d’aujourd’hui part de l’oral, de la voix.
Tous en cercle, avec moi en proue, je commence une histoire tirée d’une nouvelle de Saxifrages.

 

À vous de la continuer cette histoire mais d’une certaine façon, en vous coupant la parole, les uns les autres, dès qu’une idée vient, vous avez le droit, pire, vous avez l’obligation de couper la parole à l’autre pour poursuivre sur votre idée à vous. Moi, pendant ce temps de paroles à l’emporte pièce, je prends des notes.
Il s’agit de faire bifurquer l’histoire, que l’histoire, à chaque fois, devienne une autre histoire… La vôtre d’histoire.
C’est une histoire gigogne en train d’apparaître, comme dans les rêves.
On fait fi du sens giratoire. Ce n’est pas à tour de rôle qu’on prend la parole !
Dès que quelque chose vient, à vous de dire !
En final, ne subsistent que des bouts d’histoires arrachées à la parole de l’autre.
Pendant ce temps, moi, avec mes notes, je trace les grandes lignes de futures histoires qui seront les vôtres, à écrire, cette fois, plus seulement à dire.
Des questions ?
On a rien compris…
On va aller sur le terrain, plus facile pour comprendre !

Allez, en cercle, on prend nos chaises, & le cercle se fait.
1/ Tous en cercle
2/Je lis une nouvelle
3/ Il y en a un qui brode sur ce qu’il vient d’entendre & ainsi de suite. Vous brodez !
C’est parti ! Je lis & à votre tour
4/Après ce tour de paroles au rythme de Ferrari, pédale de frein.
Vous reprenez votre souffle & je lis mes notes & avec vous, je dénoue les fils conducteurs.

 

NOTES :
«  Trop de démons en moi, envie de casser la gueule à tout le monde, au monde entier/Faire avec ? Avec qui ? Avec quoi ? La pression de la violence… Quelle confiance ?
Celle du système ou bien de l’être humain ? Verbale, mentale, physique ?/ On ne corrige pas son ami, on lui doit la vérité. Marchons sur le bon chemin. C’est quoi un bon chemin, tu me fais rire. D’autres chemins sont bien tentants./ Je préfère les saxifrages aux roses./ Plus le chemin est facile, plus rude l’arrivée./ La mort attend tout le monde. Qui a peur ? Faut avoir peur de mourir, en ayant bien vécu, question d’énergie./ On peut acheter le temps, pas la mort / Pas de sens à la vie si pas de croyance./ Pas besoin d’avoir le permis de conduire pour faire du 300 à l’heure. Fabio a jamais eu le permis. Permis de vivre. Qui c’est qui donne le permis de vivre ? La maman & le papa, faut pas l’oublier. Qui c’est qui donne la mort ? L’être humain, le temps ? / Une fois qu’il est perdu, on ne le retrouve pas. On n’est jamais en avance, toujours en retard, toujours./ Le temps définit ta personne. Beaucoup de choses qui s’achètent mais pas le temps.»

Beaucoup question de temps, du temps.
A/ Qu’est ce que le temps ?

Beaucoup question de violence, aussi.
B/ Qui se charge de la violence ?

Question aussi autour du permis de vivre car il a été question du permis de conduire, de se conduire.
C/ Qui veut broder autour d’un permis de conduite à acheter ?
D/ Qui veut écrire sur sa feuille à 300 à l’heure, en pleine nuit ?

& pour finir, la vie, la mort étaient bien présentes dans ce circuit de paroles.
Qui veut écrire sur le temps ?
Sur la violence ?
Sur le permis de vivre ?
Sur la vitesse ?
& sur la vie, la mort ?

 

*****

Extraits

 

Sur la mort

« Comment faire face à la mort et surtout à la vie ? Faire face à ces deux paradoxes ?
Cela n’est possible que par le vécu, le vécu de certaines personnes qui ont vu tous les
vices, de la misère à la richesse, de la solitude, pour pouvoir partager avec les autres, de
la non-compréhension des choix à l’acceptation de ces mêmes choix.
À la fin, seule une chose est sûre : la mort.
Donc vis, profite, tombe, pleure, rit, instruis-toi et surtout écoute et cogite sur les paroles
des anciens et sur les environnements qui sont autour de toi… »

E.

 

Sur le temps

« Chère Maria, Je prends le temps de t’écrire car mon sujet aujourd’hui, c’est le
temps. J’ai l’impression que c’est la chose qui régit nos vies, qu’est ce que l’on fait
de notre temps ? Bloqué entre quatre murs, je trouve le temps de réfléchir à ce
maître de la vie, le temps.
On me dit que la prison c’est une perte de temps.
Et si c’était le contraire ?!
En tous les cas, moi, je décide le contraire. »

Z.

 

Sur la violence

« En vrai, il a de multiples violences mais quand est ce que nous savons que nous
sommes violents ?
Où est l’indicateur ?
En vrai, je pense que tout le monde est violent.
Moi, ma violence, elle est physique et mentale et vous, quelle est la vôtre, Maria ? »

K.

 

Sur le permis de vivre

« Après tout, il a le droit d’être un homme comme les autres. Mais jour après jour,
Marc se mettait à sombrer, il ressemblait de plus en plus aux couleurs de la grotte
qui l’entourait.
Cheveux blancs, amaigri, il dégageait une odeur infecte.
Un relâchement total.
La porte s’ouvre, un jeune homme rentre, un accent, un homme écorché, blond,
des pays de l’est, loin des jeunes qu’il fréquentait.
Marc fit connaissance avec Vladimir, ils s’entendirent très bien car les polonais
savent comment fabriquer de l’alcool et lui, ça lui manquait. »

N.

 

« Chère maman
Ce petit mot parce que je n’ai pas de permis pour vous téléphoner, ou même avoir
mes enfants pour savoir comment vous allez.
Le seul permis qu’il me reste, c’est le stylo et la feuille blanche sur laquelle je vous
écris. »

S.

 

 

valérY meYnadier est écrivaine, elle anime des ateliers d’écriture et pratique l’art-thérapie en prisons. Elle fait régulièrement des lectures de ses textes dans divers lieux culturels accompagnés de comédiens et de musiciens.

http://www.m-e-l.fr/,ec,1323

 

 

 

 

 

 

 

 

Pour lire les nouvelles, commandez notre livre Saxifrages – Fictions carcérales à cette adresse : contact@revue-bancal.fr


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