Saxifrages // Atelier d’écriture #2 à Fresnes

Les ateliers d'écriture financés par la vente de notre livre « Saxifrages - Fictions carcérales » ont commencé le 2 mars dans la prison de Fresnes. Réunissant un petit groupe d'hommes, ils sont animés par l’écrivaine Valéry Meynadier et portent sur la correspondance, le lien épistolaire avec l’extérieur. Les écrits s’appuieront aussi sur notre recueil de nouvelles. Chaque semaine, nous publierons un compte-rendu des séances avec quelques extraits des textes des participants.
Photo ©JR

Atelier#2

Écrire une lettre avec le mot « Saxifrage »

16 mars 2022

 

C’est la deuxième fois qu’on se voit.
Ils sont six.
Trois nouveaux.
H., le plus jeune, effronté au sens noble, n’est pas là… Sniff !
Il est où ?
En cours d’histoire…
Son histoire à lui, pas aujourd’hui…

 

Les trois nouveaux sont d’un bel air, je veux dire, on respire en grand avec eux.
Z., d’entrée de jeu, me dit : je suis trop pudique, Madame.

Il a pourtant un regard vivace (au sens d’une plante vivace qui repousse au printemps) ; même s’il regarde ailleurs, ne vous y trompez pas, il vous a à l’œil.

Il écrira une lettre à sa fille qu’il ne lira pas, il est pudique, mais il me la donnera pour publication dans le futur ouvrage Saxifrages II

Il y a K., serein, tout de suite il trouve sa place, jovial, entre les lignes. Il y a N., lui, il attend de voir, pas longtemps ; vite vu, il se détend & devient attentif. Sa présence minuscule du début gagne en intensité.

La gageure aujourd’hui, la consigne, c’est de leur faire écrire le mot SAXIFRAGE dans une lettre.
Écrire une lettre avec le mot « Saxifrage » ; mot inconnu pour les siX.

 

****
C’est parti.

On reprend avec le dispositif  « Chambre d’écho » du 1er atelier.
Je leur demande de créer un duo. Ça tombe bien, ils sont six. Il y a donc trois duos.

Je leur demande de se lever, de quitter la table & de se trouver une place loin les uns des autres.

Après, je passe parmi eux & je leur donne les textes écrits lors du précédent atelier.
& j’explique à chaque duo que l’un des deux devra se mettre face au mur pendant que l’autre lui lira un texte. Celui devant le mur, dans un premier temps, doit simplement écouter.
& après échanger sa place devant le mur & à lui de lire un autre texte.

En général, celui qui écoute est agréablement surpris, que ce soit son texte ou pas – surpris qu’un de ces poto ait pu écrire un tel texte…
Quant à l’autre qui lit, il a la responsabilité de bien lire, d’autant plus que le texte a été tapé au propre, par moi, à l’ordi.
Ça donne du sérieux à l’atelier – ça donne de l’investissement de part & d’autre.

 

****
Une fois la « chambre d’écho » finie, ils restent tous debout & chacun alors se met face au mur & je leur demande alors un effort d’imagination.
Je leur demande de voir une émergence dans ce mur. Je m’explique : j’aimerais qu’ils voient apparaître un visage saxifrage dans le mur qu’ils ont en face d’eux.

 

Il y a un vrai moment de surprise, de scepticisme aigu dans la pièce mais je tiens bon, je tiens mon cap.
Je réexplique la signification du mot « Saxifrage », le nom du recueil autour duquel on travaille.
& je maintiens qu’on a toujours envie d’écrire à quelqu’un, même sans le savoir & que le mur peut alors réfléchir ce quelqu’un, devenir le réflecteur de ce visage à qui on a envie de s’adresser.

Ça y est ça prend !

R. s’exclame tout haut, qu’il aimerait bien écrire une lettre à cet enfoi*** de ***.
Qu’il voit bien sa gueule là en face de lui !
S. voit le visage saxifrage de sa mère.
K. voit sa juge d’instruction.
B. me dit qu’il a trop fumé de H, il a les neurones cramés… Je lui demande de faire un effort ; il s’adressera à son Rêve !

 

****

De mon côté, je me rends compte que j’ai égaré ma veste noire avec mes précieuses clefs à l’intérieur !
Je cherche dans ma caboche où j’ai pu l’oublier ?
J’y suis… À l’entrée de la thurne, il y avait un problème de porte cassée (nous sommes en prison tout de même). Une queuleuleu d’enfer me promettait une belle attente. Ce qui n’a pas manqué.
Aussi, quand j’ai déposé mes vestes & mes deux sacs dans le carré blanc plastique qui passait sur le tapis roulant à rayons X, j’ai sûrement oublié la veste noire ; il fallait faire vite. Une porte était dégondée & ils nous faisaient passer au compte-goutte.

Je la retrouverai à la sortie, elle avait été mise de côté…

 

****
C’est bon Messieurs ?
On peut passer à l’écriture ?
Ils ont tous vu apparaître dans le mur un visage – à dégommer ou à chérir.
La récolte a été bonne.
Je les remercie.
J’ai hâte d’être à mercredi prochain pour recommencer la « chambre d’écho », qu’ils écoutent leurs lettres lues par une autre voix.

 

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Extraits :

« Juin 2030
Toi, la journée
Comment décrire cette journée ? Est-ce la plus belle ou la plus triste ? Je me demande encore…
Tu étais pluvieuse mais quelques rayons de soleil traversaient les nuages.
C’est le jour J pour elle, elle s’en va, elle quitte le foyer familial pour entamer sa nouvelle vie, ma fille se marie, elle prend son envol. Mon enfant devient adulte, incroyable. »
Z. (il a oublié qu’il fallait faire pousser le mot « Saxifrage » dans sa première lettre mais pas dans sa deuxième, écrite à son pire cauchemar !)

 

« Lettre à mon pire Cauchemar
Bonjour, je vous écris car je suis dans l’incompréhension.
Nous sommes en 2072, sur l’île du diable.
(…)
Même dans mes pires cauchemars, je n’ai osé imaginé un tel cauchemar, que ce lieu puisse exister, triste, sale, où seuls les cafards et les rats sont heureux, même les fleurs saxifrages ne parviennent plus à y pousser…
Vivement que je me réveille »
Z.

 

« Bonjour maman,
Ce petit mot pour te dire sincèrement que tu me manques. Je suis souvent triste de te savoir loin de moi, mais comme on le dit, loin des yeux, près du cœur. J’ai mal et très mal de te savoir partie trop tôt. Mon mal est de voir les gens qui connaissent encore leur maman en vie et qui ne les respectent pas. Petit, je ne comprenais pas tes conseils et je les prenais comme des obligations saxiphrages (sic) dans le mur de ma vie. (…) »

S.

 

« Salem mon Bilel
Alors comment tu vas ?
Moi, je fais aller, hamdoulillah.
Je t’écris ces petits mots pour te dire combien je t’aime.
(…)
Je ne veux pas que tu passes par là où je suis en ce moment.
Des rats gros comme des chats, qui ne ronronnent pas, méchants comme les gens d’ici. Ils te regardent comme si tu étais un être saxifrage, une mauvaise herbe, ils veulent t’arracher…
(…) »

N.

 

« À l’être d’ici (lettre), mon cœur ouvert
Je n’y comprends rien. Cet être est sensé se soucier des autres. Des conditions dans lesquelles vivent les autres. Il s’agit d’évoluer en tant qu’être humain, pas de régresser pour devenir un rat dodu courant dans un couloir.
(…)
Cet être ne supporte plus rien, même plus lui.
Sans parler de son assassinat à petits feux avec des cachets, cet être se cachetonne.
Cet être voit les autres comme de la mauvaise herbe (pas à fumer, hein) mais eux, les autres, ils se voient comme des fleurs saxifrages qui poussent les murs. »

R.

 

« Bonjour mon rêve
La journée et la nuit en détention
Attention
La nuit quand je dors je rêve que je suis libre
Dehors dans le ciel comme un oiseau saxifrage, je vole partout
(…) »

B.

 

« Lettre à ce jour de janvier 2048
C’était un beau jour ensoleillé, un homme et père de famille se réveille pour aller au travail. Comme à son habitude il allume la télé pour regarder les nouvelles. Par hasard il tombe sur une personne avec un visage qui ressemble à
Un visage familier, qu’il connaît.
(…)
Ils ont clamé leur innocence, ils ont juré qu’ils n’étaient affiliés à aucune bande ou associations de malfaiteurs ; qu’ils sont en fait des hommes saxifrages, qu’ils poussent où ils veulent en toute liberté, qu’ils font ce qu’ils veulent sans avoir de chef.
(…) »
K.

 

valérY meYnadier est écrivaine, elle anime des ateliers d’écriture et pratique l’art-thérapie en prisons. Elle fait régulièrement des lectures de ses textes dans divers lieux culturels accompagnés de comédiens et de musiciens.

http://www.m-e-l.fr/,ec,1323

 

 

 

 

 

 

 

Saxifrages – Fictions carcérales, œuvre collective, Bancal Livre (2021)

Pour toute commande : http://www.revue-bancal.fr/ouvrage/


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