Saxifrages // Atelier d’écriture #1 à Fresnes

Les ateliers d'écriture financés par la vente de notre livre « Saxifrages - Fictions carcérales » ont commencé le 2 mars dans la prison de Fresnes. Réunissant un petit groupe d'hommes, ils sont animés par l’écrivaine Valery Meynadier et portent sur la correspondance, le lien épistolaire avec l’extérieur. Les écrits s’appuieront aussi sur notre recueil de nouvelles. Chaque semaine, nous publierons un compte-rendu des séances avec quelques extraits des textes des participants.

Atelier #1 

Journal intime de votre passé au présent

 2 mars 2022

 

Aujourd’hui, pour le premier atelier, on va écrire un journal intime de son passé, au présent. Histoire de faire connaissance, c’est tout de même la première fois qu’on se voit. Moi, par exemple, je suis animatrice d’ateliers d’écriture et écrivaine. & si je viens à vous c’est pour tenter de vous transmettre le meilleur de moi-même, à savoir l’écriture !

 

Car si on a tous, une part d’ombre, on a tous aussi, une part de lumière. L’écriture veille à mon chevet.

Ce journal intime demandé peut ne pas être intime du tout. Je veux dire que vous pouvez inventer, vous pouvez écrire des rêves qui auraient pu se réaliser (en faux, sur la feuille). Exemple, si vous aimez le piano, devenez pianiste ! vous pouvez alors vous souvenir de votre dernier concert sur un bateau.

Car notre réalité se construit aussi de notre faculté de rêver… aussi de notre faculté à digérer le réel, via les rêves ou via l’art, l’écriture, jouer de la musique ; créer est une façon de digérer le réel.

 

Donc, ne vous gênez pas, mélangez possible & impossible, la feuille blanche est alchimique, elle permet beaucoup de transformations. N’ayez pas peur !

 

« Toi, si par exemple, tu avais le pouvoir de te propulser là, maintenant, quelque part, ce serait où ?
Ma question à brûle pourpoint étonne mais le gars réagit illico :
– Je serais en bas de chez moi.
– En bas de chez toi, y’a que du béton ! rigole un autre.
– Bah, il le quitte ce béton, pour aller ailleurs ! je rétorque.
– Je vais à Paris, il rebondit.
– Et ? je demande.
– Je sais pas, moi, je fais de la trottinette, je fais les magasins, y’a plein de choses à faire !
Passé ce moment d’impressions & de rire mêlés, je leur demande s’ils ont des questions… Puis on passe à l’écriture.

 

Julia Ziuli dans Saxifrages

 

*****

Ils sont quatre autour de la table. Ils tournent autour du possible, du blanc de la feuille qui se noircit à vue d’œil. C’est beau !

Il y a le Patriarche, S., très concentré, le stylo prêt à bondir.

Il y a le timide, B., sans méfiance, tranquille, mais tellement discret, sa stature d’athlète rêve d’un trou de souris.

Il y a l’effronté, H., le plus jeune, effronté au sens noble ; il parle, il rit, très à l’aise dans l’atelier.

& il y a R. qui se pose là en sérieux, il me regarde sans me toiser mais il me regarde & derrière ses yeux, il me jauge, confiance pas confiance ? Il s’y met, il s’y met pas ?

Pendant que sur la coursive, un détenu défonce la porte de sa cellule, en hurlant. C’est plutôt lui qu’il est train de défoncer – avec sa tête ? Avec ses poings ? J’ai mal à lui.

 

*****

Ce quatuor est impliqué, pas de blabla pendant l’écriture.
Le silence recule.
Merci.
Ils posent le stylo, réfléchissent, ils reprennent le stylo, le texte les appelle.
Le texte les tient, ça se voit.

 

La ville et les nuages dans Saxifrages

 

*****

La lecture se fera debout. Dès le départ, j’instaure une mini mise en scène. Pour la lecture, je demande à ce qu’on pousse les tables, qu’on se mette en cercle face à une scène fictive & Qui veut commencer ?

 

 

Texte de B. (extrait)

2007
Mon premier voyage au Mali avec mon école, avec mes collègues, on s’amuse à prendre les boucs par les cornes et on les balance, on se fait engueuler par les éducateurs.
Après, on faisait les courses pour les vieux au village.
Puis on a visité le marché artisanal, les minos nous lâchaient pas. Eh les cons, vous venez de France, ils voulaient leur pièce de monnaie.

 

Texte de H. (extrait)

21 mai 2021
J’ouvre les yeux, les notifications intempestives de mon téléphone m’ont réveillé, je me lave le visage, me brosse les dents, j’enfile mes écouteurs, Mélodie dans les oreilles comme à mon habitude, je me prépare, me nippe, me parfume et file dehors ; un soleil radieux me tape la face. Ça fait une semaine que je suis revenu dans la Zone, le vacarme des 450, les levées de main pour saluer, les gens que je connais, tout ça m’a manqué, je débute ma journée… St Denis.

 

Texte de S. (extrait)

10 mai 2007
Un samedi, j’étais responsable de la vidéo surveillance et sur mon lieu de travail, je vois venir une belle femme blonde qui est aussi responsable du rayon alcool ; elle me monte à la tête.

 

Texte de R. (extrait)

Ce matin

En me réveillant, j’ai pensé : Ah si je pouvais prendre mon petit déjeuner avec mes parents.

Samedi 27 février
J’ai rêvé que j’étais avec mes parents en train de faire de la route pour rentrer à la maison. J’ai oublié à quoi elle ressemblait la maison. Trou de mémoire.

 

 

valérY meYnadier est écrivaine, elle anime des ateliers d’écriture et pratique l’art-thérapie en prisons. Elle fait régulièrement des lectures de ses textes dans divers lieux culturels accompagnés de comédiens et de musiciens.

http://www.m-e-l.fr/,ec,1323

 

 

 

 

Saxifrages – Fictions carcérales, œuvre collective, Bancal Livre (2021)

Pour toute commande : http://www.revue-bancal.fr/ouvrage/


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Revue Bancal - Auteur

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