Répétition de P. Rambert (regards croisés, 2/3)

Après Clôture de l’Amour, Pascal Rambert nous invite à nouveau à nous plonger dans des flots de parole continus, aux digues rompues, en doublant les voix. Quand ils étaient deux à mettre fin à leur amour en monologues adossés, ils sont quatre à dire une amitié, un amour, une équipe, un partenariat, une structure être mis à mal, peut-être s’écrouler.

Après Clôture de l’Amour, Pascal Rambert nous invite à nouveau à nous plonger dans des flots de parole continus, aux digues rompues, en doublant les voix. Quand ils étaient deux à mettre fin à leur amour en monologues adossés, ils sont quatre à dire une amitié, un amour, une équipe, un partenariat, une structure être mis à mal, peut-être s’écrouler.

Répétition, de Pascal Rambert

Ce qui frappe, d’abord, quand la lumière se fait, c’est la pureté de la scénographie, signée Daniel Jeanneteau. Terrain de basket / gymnase impeccable, lumière impeccable de Yves Godin (dont l’évolution au cours du spectacle est magnifique), les comédien-ne-s vont jouer dans une photo sur papier glacé, mais en profondeur. Le banal est beau, froid, graphique. Ce qui frappe la seconde d’après – et ce n’est pas une façon de parler – c’est l’attaque. En plein dans le vif. La première à prendre la parole, c’est Audrey Bonnet, et pour la prendre, elle la prend avec force, délectation, puissance. Elle parle, longtemps, comme on envoie des boulets de canon, elle explose tout, envoie tout valser. Dans la fiction de cette répétition, où sont présents deux comédiennes, un auteur et un metteur en scène, groupe formé depuis vingt ans, amitiés nouées et un couple reconnu, alors que l’auteur lit son « Annexe à la biographie de Staline », un échange de regard, supposé ou réel, a fait basculer Audrey dans la parole qui noie tout. Elle est le point de départ de l’inondation. De l’implosion. De ce regard, de cet échange, de cette table autour de laquelle ils sont supposés être assis, on ne verra rien, on ne saura que ce que chacun-e dit. Ce n’est pas la fiction ni la vraisemblance quotidienne qui doivent être le souci, mais bien les êtres, les corps, les gens qui se dépossèdent pour s’offrir au déluge des mots et des pensées dites. Plus aucune frontière n’existe entre l’intérieur et l’extérieur, plus rien ne peut être retenu. C’est le moment où on vide les sacs.

Pendant tout le spectacle, chacun-e son tour dira, avec son unicité, avec sa nudité. Dira l’état des relations, dira son rapport au langage, dira son rapport à son âge, son rapport au passé, son rapport au monde. Quatre facettes d’un groupe. Les comédien-ne-s gardent leur prénom, non pas pour qu’on se dise : « et si c’était vrai ? », absolument pas. Parce que leur corps résonne dans ce nom qui est le leur. Parce que ce qui se passe est réel, ce qui est traversé, par les corps et les voix, est réel. Parce que la fiction n’entre pas en contradiction avec la réalité, et c’est une grande force du spectacle. Pascal Rambert ne veut pas nous faire croire à une histoire, il nous invite à entendre et à voir une traversée, un parcours, d’un point de la parole urgente jusqu’à son épuisement. Dans les quatre voix, dans les quatre visions, une récurrence : la référence à la noblesse russe de juste avant les révolutions. Qu’avons-nous cru ? À quoi avons-nous rêvé ? La désillusion vient avec le flot de la parole, quand tout est dit, le constat d’échec, la peur de l’échec plutôt, qui fait dire qu’on est passé à côté, qu’on s’est planté, que c’est loupé. Et quand tout est dit, la gymnaste arrive. La frénésie particulière n’arrête pas le monde. La répétition continue.

Si le spectacle perd en force dans certains de ses endroits, dans certaines gesticulations des comédien-ne-s rendu-e-s muet-te-s par la personne qui prend la parole, ou surtout dans le monologue de fin de Stan, qui bascule parfois dans une ironie et un dogmatisme (sur l’exhortation aux jeunes par exemple) dommageables, si le fait que les femmes parlent en premier et que les hommes closent le tour peut poser question, la proposition de Pascal Rambert n’en reste pas moins un spectacle puissant, radical, qui ouvre sur des interrogations comme un collier, précieux et vertigineux : qu’est-ce que mes mots disent de moi ? À quoi crois-je ? À quoi ai-je rêvé ? Comment est-ce que je me dis ? Qu’est-ce que mes mots disent de moi ?…

Matthias Claeys-Dez, blogger (http://jaivuca.wordpress.com), auteur et metteur en scène, co-fondateur de la compagnie mkcd et du collectif les idiots

Répétition, de Pascal Rambert, avec Denis Podalydès, Emmanuelle Béart, Stanislas Nordey et Audrey Bonnet, au Théâtre de Gennevilliers jusqu’au 17 janvier 2015


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Charlotte PALMA - Auteur

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