Rencontres transversales // Schizophonies – Partition impossible

Pendant les répétitions de SCHIZOPHONIES – Partition impossible à La Loge, Julien Crépin, l’un des interprètes, à qui l’on avait demandé de quoi parlait le spectacle, avait répondu : « C’est l’histoire de quatre personnages qui sont en plein trip ».

Pendant les répétitions de SCHIZOPHONIES – Partition impossible à La Loge, Julien Crépin, l’un des interprètes, à qui l’on avait demandé de quoi parlait le spectacle, avait répondu : « C’est l’histoire de quatre personnages qui sont en plein trip ».

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Alors que nous nous retrouvons après la représentation, la conversation peine à démarrer. Le spectacle nous a laissé dans une sorte de rêverie, un état méditatif, peu propice à l’analyse. Très introspectif, il ne semble pas un spectacle dont on discute à chaud… La première question était d’ailleurs : « Qu’allons-nous garder de ce spectacle dans 15 jours ? 1 an ? », comme pour ne pas parler au présent. Ceux qui ont finalement lancé la discussion sont ceux d’entre nous qui avaient déjà vu le spectacle à l’occasion de sa création en mars 2015, à La Loge, et qui avaient déjà un certain recul par rapport à l’œuvre ; n’avaient pas le même besoin de « digestion » que ceux qui la découvraient.

Pour mieux « sortir » du spectacle, nous avons tenté de mettre à jour les procédés scéniques qui avaient participé à mettre en place cet état introspectif. Et en fait, dès l’entrée des spectateurs, quelque chose se crée : les quatre acteurs sont déjà sur le plateau et en pleine conversation si bien que nous rentrons dans leur monde sans nous en rendre compte, à mesure que nous nous installons et que leur conversation nous devient audible. Le spectacle est également très travaillé : du son (nous y reviendrons) à la lumière (qui prend parfois le relais de la narration), en passant par la vidéo qui, projetée très proche du public, crée le vertige, nous avale. Mais surtout : un rideau de tulle noir transparent sépare le plateau des spectateurs offrant par la même un autre rapport au quatrième mur. On aurait pu penser que rajouter une barrière physique à celle symbolique existant entre la scène et le public renforcerait ladite séparation. En fait c’est l’inverse. D’abord, parce que nous sommes plusieurs à avoir mis du temps à voir le rideau. Ensuite, parce que le tulle, qui dit la porosité de ce quatrième mur, agit comme une membrane que nous sommes invités à traverser. Morgane Lory, autrice et metteuse en scène du spectacle, nous explique également qu’il figure la fine frontière entre monde extérieur et monde intérieur.

C’est d’ailleurs tout le sujet de la pièce. Les quatre personnages au plateau : NA (Nadège Sellier), GOE (Geoffroy Vernin), SER (Sergueï Ryschenkow) et JU (Julien Crépin), passeront la grosse heure que dure le spectacle à s’interroger afin de se trouver, de se comprendre, dans un va et vient perpétuel entre les autres et eux-mêmes. Il est intéressant de remarquer que leurs noms à la scène sont les premières syllabes de leurs noms à la vie. La frontière entre personnage et personne est elle aussi perméable, rendant le propos d’autant plus ancré. Les questions sont nombreuses, la narration décousue : ils se perdent et nous perdent dans leurs réflexions qui nous renvoient aux nôtres, intimes. Nous avons trouvé rassurant d’entendre sur scène ces questions qu’on n’a tous pu se poser. Rassurant de ne pas avoir de réponse : les lectures du spectacle sont nombreuses selon les échos qu’il suscite en nous. Et forcément, nous aussi, on plonge au fond de nous-même, décrochant parfois de ce qui se passe sur scène.  À ce propos, il est intéressant de s’attarder sur l’écriture du spectacle. Morgane a composé le texte en deux colonnes : à gauche, des citations philosophiques et littéraires, des exercices d’improvisation, des mots, des idées, des envies… Bref, tout un terreau de réflexions qui a permis la rédaction de la colonne de droite, fictionnelle, texte final de SCHIZOPHONIES – Partition impossible. Morgane nous explique que lors d’une résidence de création, chaque comédien a eu une demi-journée pour faire des propositions dramaturgiques à partir de la colonne de gauche. Ils ont ainsi créé un fond commun à partir duquel des choix ont été faits pour constituer l’œuvre que nous avons vue. Tous ont nourri le monstre qu’est ce texte.

Monstre, car en effet, le texte est extrêmement dense, et essaimé de nombreuses références. Heureusement, ce flux tendu est parfois interrompu par des capsules quotidiennes, des interactions entre les quatre comédiens au plateau. Simples. Comme le seraient des discussions entre amis. Ces moments créent des ruptures, des temps de respiration dans la matière parfois abstraite du spectacle. Certains d’entre nous auraient d’ailleurs voulu qu’il y en ait plus : elles semblent principalement concentrées au milieu de la pièce.

Mais enfin, ce qui lie cette « partition impossible », c’est la voix off prise en charge par Morgane Lory. Fil conducteur, elle s’adresse directement à nous. Sa voix est lucide, concrète, son ton est parfois celui de la connivence. La place que prend cette voix off dans notre réception est telle que certains d’entre nous ont regretté qu’elle soit, à un moment, prise en charge par les comédiens. Le décalage de posture était troublant. Peut-être le son aurait-il pu venir d’une source différente que la voix off « tutélaire » de Morgane Lory ? Son apparente maîtrise a induit chez nous, un sentiment de confiance et nous a aidé à nous laisser porter. Ses interventions ont parfois prolongé notre sentiment personnel. Par exemple, elle nous dit « Vous le savez car vous êtes attentifs // Une certaine partie du temps – du moins // Et vous avez tellement raison de ne l’être que quand cela vous semble nécessaire, utile, intéressant… ». Cette autorisation à ne pas tout comprendre, à ne pas tout écouter a été ressentie par tous comme profondément rassurante. Morgane Lory nous informe qu’elle a complètement réenregistré cette voix off pour la reprise. À la base son inspiration vient de Marguerite Duras. À la création, la voix off était beaucoup plus abstraite, presque omnisciente. Ainsi, bien moins qu’un fil conducteur, elle participait, renforçait même, l’abstraction ambiante. Un heureux changement, sans doute, qui facilite l’accès au spectacle.

La joyeuse équipe des Rencontres Transversales

Schizophonies / Partition impossible, texte et mise en scène de Morgane Lory, création sonore de Matthieu Canaguier, création Lumière de Nicolas Ameil, scénographie et vidéo d’Ophélie Bignon, avec Julien Crépin, Nadège Sellier, Sergueï Ryschenkow et Geoffroy Vernin

Compagnie Le Don des Nues DDN


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Charlotte PALMA - Auteur

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