Rencontres transversales // Amer M

Suite à la découverte d'un portefeuille dans sa boîte aux lettres, Joséphine Serre part à la recherche littéraire d'Amer M – retraçant, à partir des documents trouvés dans ce portefeuille, l'itinéraire possible de cet Algérien venu travailler en France, comme des centaines de milliers d'autres, entre 1945 et 1973.

Suite à la découverte d’un portefeuille dans sa boîte aux lettres, Joséphine Serre part à la recherche littéraire d’Amer M – retraçant, à partir des documents trouvés dans ce portefeuille, l’itinéraire possible de cet Algérien venu travailler en France, comme des centaines de milliers d’autres, entre 1945 et 1973. Entre enquête et rencontre fantasmée, Amer M est l’histoire de cette recherche liant  des trajectoires intimes et la relation hautement ambivalente de la France et de l’Algérie – de part et d’autre de la Méditerranée.

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Ce travail choral, agençant documents, questionnements, rencontres réelles et fictives, notes de travail est porté avec beaucoup de finesse par 4 acteurs et actrices, dont l’autrice – dans une recherche d’équilibre entre la petite et la grande histoire, le singulier et  l’universel, le documentaire et le mythologique… équilibres différemment perçus par l’équipe des Rencontres transversales :

1) Théâtre, Système, Histoire : crever l’abcès ?

E : J’ai été très impressionnée par la maîtrise de l’ensemble. J’ai eu un peu peur au début de la prise de parole «tragique» initiale, mais la parole se simplifie très rapidement et je suis complètement entrée dans le spectacle. J’ai trouvé que la création musicale arrivait toujours à point nommé, j’ai particulièrement aimé la scène où le recruteur explique les conditions de sélection des ouvriers en Algérie, et la scène au port de Marseille où la narratrice discute avec un vieil Algérien qui lui parle de sa vie : «  une vie vécue pour rien ».

Ma : Je suis d’accord qu’au niveau du langage scénique, de la construction, de la direction, ce travail est maîtrisé, c’est une proposition qui va au bout de ses envies, et c’est agréable d’assister à cela. Mais je viens de finir un stage sur Heiner Müller, qui questionne toujours l’histoire et le mythe avec la question intime. Il y a un jeu d’échelle dans son travail, qui permet de tirer un fil entre ce qu’on vit et l’Histoire. Je trouve que dans Amer M, ce fil pourrait être davantage tiré. Pour moi cette mise en articulation de l’histoire de la France et de l’Algérie ne se fait pas suffisamment. La force du projet réside plus dans le portrait.

E: Est-ce que ce ne serait pas trop, de vouloir traiter d’avantage la dimension historique ? N’a-t-on pas le droit de vouloir simplement raconter un « il était une fois ? »

Ma : J’aurais eu envie d’un éclairage plus précis pour interroger plus profondément l’anecdote de ce portefeuille retrouvé, pour que cela me re-questionne. Il y a toutes ces scènes qui mettent en lumière la souffrance d’un homme face à l’administration, mais qu’apprend-on des logiques qui ont mené à la guerre d’Algérie ?

C: Etait-cela l’intérêt du projet ? J’ai été happée par la dimension intime de cette pièce. Je trouve qu’il permet de ne pas tomber dans le « didactique ».

Ma : C’est une question de dosage. J’ai été touché aussi, le regard est sensible et nourri mais c’est presque trop confortable pour moi. Ca ne me met pas suffisamment en branle. Je crois que j’aimerais être plus dérangé que cela.

E : J’ai trouvé le spectacle « confortable » mais plein. J’ai vraiment fait un voyage et mon cerveau travaille encore de tout ce que j’ai reçu. Pour moi quand la narratrice remarque qu’Amer cite le nom colonial de sa ville de naissance, elle me donne les moyens de m’interroger sur cette histoire entre la France et l’Algérie.

C: C’est aussi un voyage dans le cerveau d’Amer, un voyage poétique dans l’intimité des figures. Pour moi l’écriture a  aussi recréé la traversée de la Méditerranée, que nous ressentons.

E: Ca n’est pas si facile d’être à cet endroit de justesse, et j’y suis sensible.

Ma : Moi je trouve ça presque piégeant. Mais c’est un questionnement personnel qui m’habite en ce moment : j’ai aussi le goût du portrait, de l’intime, de la sensation… et avec Nuit Debout, je suis rattrapé par des questions de structure et de système. Je trouve que cette pièce n’interroge pas assez la structure dans laquelle on vit. C’est comme si le spectacle ne crevait pas l’abcès.

C: Tu le crèveras ailleurs ! Attend-on du théâtre qu’il crève l’abcès ou qu’il nous aide à travailler dessus ?

Mo : Est-ce que c’est la dimension politique qui intéressait particulièrement l’autrice ? Personnellement, c’est le fil de l’autofiction que j’aurais aimé voir développé d’avantage.

Ma : Le politique et l’intime sont inextricables. Quelque chose reste peu clair pour moi dans la dimension morale autour de cette question de pénétrer l’intimité des gens, quel est le conflit derrière cette question ?

Claire : j’ai souvent ce sentiment au théâtre qu’un problème moral est effleuré mais que le point de vue est flottant. Comme si le surmenage intellectuel nous obligeant constamment à réagir vite, à exprimer son opinion – ressortait au théâtre sous la forme d’une difficulté de positionnement. Parfois le public qui est en attente de résolution, a des réactions violentes par rapport à cette absence de réponse.

Ma : Comme si notre problématique générationnelle du doute et de la peur de la manipulation nous menait au nivellement et au relativisme.

Mo : Brecht réfléchissait déjà à comment traiter la complexité du monde au sein d’une fiction, sans que la forme ne limite le propos.

E : Peut être qu’il est là, l’apport du théâtre : un temps suspendu pour se mettre d’accord sur le fait qu’on a besoin de temps…

C: Le câlin poétique comme réponse ? En tous cas c’est assez rare qu’on entende parler de l’Algérie avec une telle tendresse…

Mo : J’ai aimé le retour de certains motifs récurrents, dans l’écriture. Pour moi les seules scènes qui me posent problème sont les références au FLN, parce que je ne sais pas si ces scènes sont liées aux documents trouvés dans le portefeuille ou au fantasme de l’autrice. Je ressens un besoin de clarification par rapport à ces scènes.

C : Même dans le traitement, ces scènes sont plus physiques, plus extérieures dans le regard porté sur la situation.

2) le fil de l’intime : auto-fiction, double, trace…

Mo : J’aurais bien aimé que le thème du double entre Amer et la narratrice soit d’avantage développé. Cette question de l’autofiction qui traverse l’écriture.

C: Moi aussi je me suis demandée le pourquoi de cette histoire. Est-ce que le portefeuille était un prétexte pour raconter ce portrait ?

Ma : J’ai l’impression qu’il y a comme une culpabilité diffuse, autour du fait d’être entré dans l’intimité de quelqu’un.

Mo : Je ne ressens pas cela, mais plutôt un questionnement sur la trace qu’on laisse – accentué par cette dramaturgie des traces de peinture sur les murs du théâtre.

Ma : Oui, cela questionne le rapport entre l’homme et le document. Par ailleurs j’ai trouvé les choix d’interprétation d’Amer très fin.

Mo : Et le fait que Amer ne soit incarné que par un acteur, alors que toutes les autres identités sont multiples. Tous incarnent également la quête de l’autrice. Il y a dans cette pièce un lyrisme qui est cadré par la démarche documentaire.

Ma : Le fait de donner accès aux documents aux membres du public est très intéressant, comme un moyen de retourner l’obscénité de cette intrusion. Les acteurs nous regardent regarder ces papiers.

E : J’ai aimé que la question de la légitimité à écrire ce spectacle ne se pose pas.

Une seule scène a été peu claire pour moi : la scène où une actrice chante « les Mots Bleus » (de Christophe).

M : Cette scène chantée me parle de la rencontre fantasmée, entre Amer et Colette (sa compagne), entre Joséphine et Amer…

C:  Je n’ai pas eu besoin de relier cette scène au reste de l’histoire, je l’ai vécue aussi comme une allégorie.

Mo : Comme une situation qu’on vit quand on est en voyage,  et qu’on est témoin d’une scène à la fois fragile et dérisoire. Elle a eu pour moi une dimension à la fois narrative et symbolique.

Ma : Finalement, qu’elle ait eu ou non le moyen de rencontrer Amer M, la narratrice est restée dans le fantasme de cet homme. Et elle assume cette position, c’est très honnête.

Mo : Qu’est-ce qu’un individu, une rencontre, un fantasme ? Ces questions me semblent encore plus profondément au cœur de cette pièce que la question de la migration. »

L’équipe des Rencontres Transversales

retranscrit par Morgane.

 AMER M – Texte et mise en scène : Joséphine Serre
Avec : Guillaume Compiano, Camille Durand-Tovar, Xavier Xcapla & Joséphine Serre


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Charlotte PALMA - Auteur

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