Portrait // Ilann Vogt

Le productivisme omniprésent dans notre société contemporaine participe de la fragmentation du réel et de l’imaginaire. L’imaginaire  fait pâle figure dans ce paysage socio-économique dominé par le productivisme, et se retrouve trop souvent relégué à la fantaisie de personnes inconsistantes, à l’enfance, aux sphères de vie de peu d’importance. C’est dans cet écart qui se creuse entre le réel et l’imaginaire qu’œuvre Ilann Vogt.

Ilann Vogt, artiste plasticien, habite cette brèche qui dissocie monde réel et monde imaginaire, il tisse dans l’entrelacs de ces mondes.

« Je tisse les livres et les imaginaires car c’est la seule manière que j’ai trouvé pour vivre avec. » (confidence de l’artiste recueillie au cours de l’été 2018).

 

Le procès de Kafka, Illan Vogt

 

Dit autrement, Ilann Vogt participe de la réparation du réel par l’imaginaire. Le tissage de mots, phrases, livres participe du mouvement d’union et de séparation du monde réel et imaginaire en dessinant un florilège de paysages de lecture d’œuvres littéraires, philosophiques, mythologiques.

 

Regarder Ulysses de James Joyce, Les vagues de V.Wolff,  Siddhartha de H. Hesse, Celle qui attendait le retour de l’homme égaré en mer (tissage de A la recherche du temps perdu de M. Proust),  c’est arpenter un paysage de lecture qui se déploie progressivement au fil de la contemplation en train de se faire, et pouvoir à  son tour contribuer au tissage, au maillage de ce monde ouvert de la lecture.

 

Ces toiles tissées, sculptées, froissées nous invitent à nous rapprocher, nous éloigner, à tourner autour de ces œuvres pour en faire usage de bien des manières :

  • Habiter à nouveau l’expérience singulière de lecture d’un ouvrage en laissant notre regard divaguer le long des circonvolutions des motifs du tissu, glisser plus rapidement sur des amoncellements de phrases illisibles, ralentir pour accrocher/décrypter quelques mots qui se détachent plus distinctement de l’ensemble.
  • Renouer le temps de la contemplation de ces formes plastiques si singulières, avec une pensée plus souple, plus flexible, plus à même d’épouser le mouvement permanent du monde, une pensée sensible, susceptible de se laisser « impressionnée» par les paysages mouvants et silencieux de la lecture.
  • Accepter de plonger dans l’ici et maintenant, jouer avec les reflets mordorés du papier, se détacher des mots, de la pensée analytique, de la muséification de l’œuvre et de son auteur.rice pour redevenir enfant, délesté du poids de la connaissance, et simplement se laisser aller à l’évocation du drapé du papier,  à l’envie de larguer les amarres,  au plaisir de voguer dans un ballon dirigeable affublé d’une toile tissée de ce beau papier noir et mordoré…
  • Commencer à pénétrer, deviner, ce que pourrait-être l’expérience de lecture de tel ouvrage, dont l’écrivain est très connu, mais que l’on a jamais pris le temps de découvrir, l’expérience de lecture de tel ouvrage dont le titre sonne de manière mystérieuse, accepter de commencer à approcher, se familiariser progressivement, à petit pas avec cet inconnu-là grâce à l’image à la fois concrète,  à la fois abstraite, que nous en propose Ilann Vogt à travers ses œuvres tissées. Aborder cette image en confiance comme une projection amplifiante qui multiplie dans l’avenir les voies et les formes possibles de cette expérience de lecture en devenir, en maturation.
  • Se rapprocher, pour tenter de décrypter l’énigme de ces œuvres silencieuses…

 

Des œuvres qui nous tendent un secret, celui de la manière dont nos vies se retissent dans l’intimité de l’imaginaire, celui de la manière dont chacun de nous reconfigure le temps vécu en tissant et retissant autrement l’image singulière de son vécu.

 

Une œuvre profondément phénoménologique.

 

Anne Bationo Tillon

 

Découvrez le travail de Ilann Vogt à  Issy Les Moulineaux du mardi 30 octobre 2018 au dimanche 10 février 2019

Plus d’infos : https://mediatheques.ville-issy.fr/animations/animations-adultes/evenement/172-exposition-201810

Lire dans tous les sens, dans toutes les sensations, est un appel à voir la littérature. Par cette exposition, Ilann Vogt artiste plasticien, tisserand , propose de se plonger dans le labyrinthe des textes de la littérature mondiale. Né en 1986 à Quimper, son parcours est jalonné par un appétit de la langue, qu’il transforme en un désir de voir la langue s’étendre en un paysage de mots. Ainsi, il tisse des livres pour les métamorphoser en œuvres monumentales. Les mots font ici image, la fiction se fige dans la matière du tableau. A ce jour, il a pu tisser près de 200 textes dont une sélection est à découvrir entre les murs de la Médiathèque.


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Revue Bancal - Auteur

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