Phèdre/Salope

Phèdre/Salope, le spectacle engagé de Matthias Claeys qui traite des représentations du féminin à la fois dans le théâtre de répertoire et dans le monde contemporain, c'est à La Loge et c'est jusqu'au 17 mars !

Phèdre/Salope, le spectacle engagé de Matthias Claeys qui traite des représentations du féminin à la fois dans le théâtre de répertoire et dans le monde contemporain, c’est à La Loge et c’est jusqu’au 17 mars !

 

LES 7 SALOPARDES

                        … Si seulement tous les machos racistes pouvaient être bêtes et méchants.

 

Phèdre/Salope. Un diptyque.

Une comédienne nous annonce dès le début du spectacle qu’il sera composé d’un quart de Phèdre et de trois quarts de Salope. Puis la représentation s’écoule et nous confronte au mystère de la durée : deux parties, deux espaces-temps. Deux plongées. Une construction qui propose à notre imaginaire la belle mission de lier ces deux morceaux, par effets de résonances, associations et réminiscences, comme les deux tessons séparés de terre cuite du symbolon grec – à l’origine du mot symbole.

Que reste-t-il en nous de la fille de Minos ? De quoi est-elle encore le symbole ? Le tesson sublime de quelle faute, de quel crime ?

PHEDRE/

A travers ce montage d’extraits de Phèdre, fidèle à la langue de Racine et à sa structure, c’est tout un art de l’ellipse qui nous est offert : des titrages annoncent au mur les personnages qui vont s’incarner sous nos yeux. Les scènes coupées sont résumées par quelques formules saisissantes. Thésée survivant à sa propre mort. Oenone répudiée. Cette décoction à l’essentiel nous permet d’entendre, dans un rouge clair obscur, la poésie racinienne dans toute son intensité, transpercée par d’incroyables effets de présent. Dans chaque scène, une réplique de la langue de notre temps vient s’immiscer dans l’alexandrin. On croit tout d’abord à un mirage auditif. La première occurrence est subtile, passe presque inaperçue. Mais quand un « putain » surgit dans la bouche d’Oenone, plus aucun doute n’est possible : dans la fulgurance de ce rappel au présent, c’est comme si nous entendions le monologue intérieur de l’interprète, l’endroit où nous nous emparons, avec nos propres mots, de la puissance de l’enjeu. Ces éclairs finement dosés ne prennent jamais la tragédie par en-dessous, bien au contraire, ils nous convoquent à l’endroit de l’écoute juste. Pour que la préciosité de l’alexandrin ne nous fasse jamais oublier la fatale violence de ce qui est conté.

« Songez que je vous parle une langue étrangère » dit Hippolyte à Aricie. Par ces décharges de présent, Matthias Claeys prépare subtilement l’avènement de Salope – et le débarquement sur les rives du contemporain sera tout aussi fin et acéré.

/SALOPE

Salope est composé de diverses scènes traitant du sexisme ordinaire, de la violence physique et normative. Un montage au cordeau, tant dans ses coupes que ses suspens, nous renvoie la violence des injonctions en milieu tempéré ou extrême : de la cuisine familiale au poste de police, du bureau d’une travailleuse sociale à la Cour d’Assises. La force de ces scènes réside tout d’abord dans la remarquable précision de l’écriture de Matthias Clayes : des dialogues ciselés qui servent un propos incisif, sous-tendu par une maîtrise des enjeux idéologiques – qui pour autant ne devient jamais docte. Personne ne vient nous faire la leçon de ce qu’il faut penser ici : car chaque scène décrit avec justesse la diversité des points de vue qui co-existent dans une société, et comment ces points de vue s’agencent dans des rapports structurels de domination. Ce flic est raciste, certes, mais il n’est pas méchant. Et quand il dit à une femme noire de renoncer à déclarer la dimension raciste du harcèlement dont elle fait preuve « parce qu’il y a plus de femmes que de noires en France »- pour lui, ce conseil est bienveillant et relève du bon sens. Ou quand une avocate conseille à sa cliente d’être plus « victime », et moins maquillée pour raconter le viol qu’elle a subi, elle croit aussi sincèrement que c’est la meilleure stratégie pour envoyer le violeur en prison. Faudrait quand même pas qu’elle ait l’air trop pute devant les jurés, ils risqueraient de penser qu’elle a mérité son coup de bite. Alors oui, des fois on rit très jaune. Des fois ça nous déstabilise qu’un auteur s’empare de ces sujets dans toute leur ambivalence, sans donner raison ouvertement au gentil, sans condamner ouvertement le méchant. Un théâtre complexe, comme la vie.

MKCD propose ici un théâtre qui donne à réfléchir. N’allez pas voir Phèdre/Salope pour l’inventivité scénographique, d’autres compagnies se chargeront de mener ces expérimentations – ici on traite d’enjeux sociaux avec acuité et précision dans l’écriture, le jeu et la direction d’acteur. S’y mène un travail en aller-retour entre l’écriture et le plateau, porté par une équipe d’interprètes totalement investie, tout à la fois drôle et inventive, grotesque sans être caricaturale – et diverse. Cette diversité des personnes, dans toutes ses dimensions, de voix, de corps, d’âge, de race, se sensibilité émotionnelle, de codes théâtraux : une micro société. Pas un échantillon représentatif. Et la nuance est de taille. Quand nous voyons cinq femmes différentes incarner Phèdre, nous recevons cinq visions du monde, cinq expériences incarnées et c’est très beau de recevoir cela. Et quand Salope se déroule sous nos yeux, il reste quelque chose de cette empreinte, de l’éminemment singulier dans chaque scène, dans chaque situation que nous vivons- si seulement nous pouvions ne pas l’oublier en sortant du théâtre : qu’un flic n’est pas qu’un flic, ni un noir – qu’un noir – ni une victime de viol, qu’une victime.

Il faudrait évoquer aussi les subtiles inversions qui questionnent l’injonction à être un homme  – aussi. Dans cette formidable scène de famille où tout le monde éclate de rire quand le père dit vouloir aller à la chasse : parce que tout le monde sait que ce n’est pas fait pour lui. Parce que la bite, c’est pas que entre les jambes, c’est dans la tête aussi.

Il faudrait évoquer la scène d’initiation à la masturbation féminine et cette formidable réplique qui n’a fait rire que moi « les hommes n’aiment pas les préservatifs, ils ont moins de sensations » comme si l’amoindrissement des « sensations masculines » devait naturellement primer sur le risque de grossesse et les maladies transmissibles. Ce rire solitaire avait quelque chose d’assez effrayant. C’est aujourd’hui, c’est en 2017. Et plus que jamais parler du corps des femmes est politique. N’en déplaisent à certain.e.s qui continuent de s’ennuyer poliment dans la salle, devant toutes ces histoires de « bonnes femmes ». Qu’elles se fassent une raison, ça n’est qu’un début.

Phèdre/Salope se conclut sur le discours d’une femme, une meurtrière, prête à payer pour ses actes. Un appel à la révolte, à l’intelligence, à l’appropriation du discours et de la lutte, au refus d’être réduite au statut de victime. Il y a du Thoreau dans la revendication de la prison comme espace de liberté, il y a du Despentes dans le souffle, il y a du Pasolini dans la poétique militante, il y surtout la langue de Matthias Claeys – synthèse singulière du monde qui l’entoure, du passé et du présent – pour les spectateurs et spectatrices d’aujourd’hui et à venir.

Morgane Lory, autrice et metteuse en scène, Cie le Don des Nues

PHÈDRE/SALOPE Cie mkcd
17 Mars à 21H00
CRÉATION LA LOGE 2016-2017
Textes : Phèdre – Jean Racine // Salope – Matthias Claeys
Mise en scène : Matthias Claeys
Interprétation : Odila Caminos, Marie Camlong, Marie-Julie Chalu, Kévin Dez, Romain Pichard, Françoise Roche et Marion Romagnan
Création lumières : Vera Martins


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Charlotte PALMA - Auteur

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