Musique // Stromae et l’enfer de la dépression

Dans sa nouvelle chanson, Stromae évoque sa dépression et les pensées suicidaires qui ont accompagné sa souffrance. « J’ai parfois eu des pensées suicidaires. Et j’en suis peu fier. On croit parfois que c’est la seule manière de les faire taire. Ces pensées qui nous font vivre un enfer ». Des mots simples et justes pour traduire un mal-être écrasant, cet enfer souvent décrit dans la littérature, comme par exemple chez Emmanuel Carrère ou Gérard Garouste.

Après sept ans de silence, l’auteur-compositeur belge Stromae raconte dans son nouveau titre L’enfer la période de dépression dont il vient de se remettre. Il évoque dignement et sobrement les envies de mort, la solitude, la honte, la culpabilité qui ont accompagné son trouble.

 

« J’suis pas tout seul à être tout seul
Ça fait d’jà ça d’moins dans la tête
Et si j’comptais, combien on est
Beaucoup
Tout ce à quoi j’ai d’jà pensé
Dire que plein d’autres y ont d’jà pensé
Mais malgré tout je m’sens tout seul
Du coup. »

 

 

L’enfer de la dépression, l’écrivain Emmanuel Carrère en a fait l’un des sujets de son dernier roman Yoga :

« Sans me vanter, je suis exceptionnellement doué pour faire d’ une vie qui aurait tout pour être heureuse un véritable enfer, et je ne laisserai personne parler de cet enfer-là à la légère : Il est réel, terriblement réel. »

 

Yoga est le récit de son combat contre la dépression qui l’a conduit en hôpital psychiatrique, sa quête pour vivre malgré son trouble bipolaire. Dans les moments de sa vie où il se sent mieux, Emmanuel Carrère sait que ses idées noires se cachent tapies dans l’ombre :

« L’Ombre, Emmanuel… Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ? Tu ne peux pas savoir comme c’est horrible, cette Ombre qui est tout le temps-là et que je ne vois pas. C’est tellement horrible… » J’écoute Erica, je comprends très bien ce qu’elle dit, terriblement bien. Mon Ombre à moi […] elle est aussi horrible que la sienne. Tout le monde doit en avoir une, seulement la plupart des gens, elle se tient un peu plus sagement derrière leur dos, alors que d’autres, comme Erica et moi, elle les menace de plus près : « La famille lamentable et magnifique des nerveux », disait Proust, et il disait aussi que nous sommes le sel de la terre, nous les nerveux, les mélancoliques, les bipolaires, nous qui passons nos vies à nous battre contre ces « chiens noirs » dont parlait un autre grand dépressif, Winston Churchill. »

 

Le romancier ne laisse heureusement pas le lecteur se noyer dans cette désolation extrême ; au contraire, il lui assure qu’il est possible d’y survivre, tel un équilibriste entre les périodes  sombres et les moments de vie plus heureux :

« Il y a l’Ombre mais il y a aussi la joie pure, et peut-être qu’il ne peut y avoir de joie pure sans Ombre et que ça vaut la peine, alors, de vivre avec l’Ombre. »

 

L’art, l’écriture, la création peuvent-elles sublimer la souffrance ? Pour le peintre Gérard Garouste, les troubles psychiques interrompent la création, qui se fait contre ces moments de délire et non grâce à eux. Dans son autobiographie L’intranquille, l’artiste évoque ses crise de délire et ses internements :

« Etre heureux est dangereux pour moi, note-t-il, être en colère aussi. L’émotion forte m’est interdite. Elle bouscule trop de choses dans ma tête aux pensées et aux souvenirs mal accrochés. Une crise s’annonce. » 

 

L’art, le yoga, la méditation, la musique, peu importe les remèdes pour sortir de l’ombre. Tandis que la philosophe Simone Weil nous conseille  de « Ne pas chercher à ne pas souffrir, mais à ne pas être altéré par la souffrance. », le philosophe Clément Rosset nous prévient : « Etre heureux, c’est toujours être heureux malgré tout. »

 

Céline

 

Yoga, roman d’Emmanuel Carrère, éditions POL (août 2020)

L’intranquille, autobiographie de Gérard Garouste, éditions Iconoclaste (2009)

Apaiser sa souffrance par l’art, Infographie, Revue Bancal (2020)

 


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Revue Bancal - Auteur

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