Livre // « Le consentement » de Vanessa Springora et les artistes ogres

Nous avons été bluffés à la lecture du livre "Le consentement " par le courage, par la clairvoyance et par la sincérité de son autrice, Vanessa Springora. On réalise la puissance de l'écriture qui lui a permis de s'échapper de cette fiction dans laquelle l'écrivain l'avait piégée et enfermée et à travers laquelle il lui avait volé non seulement sa jeunesse mais le droit à défendre sa propre version. "Le consentement" est cette réparation ; le livre évoque également des situations similaires où des artistes ont utilisé leur art pour assouvir leur addiction et pour couvrir leurs agissements illégaux. Tous les exemples donnés ci-après sont extraits du livre de Vanessa Springora.

Le livre de Vanessa Springora donne plusieurs exemples d’artistes dont les actes pédocriminels ont nourri leurs œuvres (en étant le matériau, le sujet de leurs récits, de leurs photos ou films) tandis que leur statut d’artiste leur permettait de côtoyer des enfants et d’exercer sur eux leur emprise, sans entrave. Ce même statut les protégeant par la même occasion, en vertu de la liberté de création artistique ou de l’excuse du talent.

Un cercle vicieux dans lequel les victimes sont piégées et les criminels protégés.

Ces exemples dont la liste n’est malheureusement pas exhaustive peuvent nous aider à réfléchir sur la figure inattaquable et sacralisée de l’artiste. Et surtout à prendre conscience des blessures infligées aux victimes dont l’existence a été sacrifiée sur l’autel de l’art. Toutes les citations sont extraites du livre Le consentement.

 

« Il a fait de son travail d’écrivain un alibi par lequel justifier son addiction. »

 

Gabriel Matzneff, ses obsessions, son sadisme, son machiavélisme, c’est Vanessa Springora qui en parle le mieux. Elle relate comment sa notoriété et son statut d’écrivain l’ont toujours protégé, comment son addiction inspirait ses écrits tandis que ses œuvres couvraient ses actes pédophiles en les transformant en relations amoureuses et passionnées.

« Il avait fait profession de n’avoir de relations sexuelles qu’avec des filles vierges ou des garçons à peine pubères pour en retracer le récit dans ses livres. Comme il était en train de le faire en s’emparant de ma jeunesse à des fins sexuelles et littéraires. Chaque jour, grâce à moi, il assouvissait une passion réprouvée par la loi, et cette victoire, il la brandirait bientôt triomphalement dans un nouveau roman. »

« Je me surprends maintenant à le haïr de m’enfermer dans cette fiction perpétuellement en train de s’écrire, livre après livre, et à travers laquelle il se donnera toujours le beau rôle ; un fantasme entièrement verrouillé par son ego, et qui sera bientôt porté sur la place publique. Je ne supporte plus qu’il ait fait de la dissimulation et du mensonge une religion, de son travail d’écrivain un alibi par lequel justifier son addiction. »

 

« Lolita est tout sauf une apologie de la pédophilie. »

 

Impossible de ne pas évoquer Lolita de Nabokov. Et pourtant, ce roman ne fait pas l’apologie de la pédophilie. Au contraire, dans le livre comme dans ses interviews, Nabokov condamne fermement les agissements du personnage principal Humbert Humbert, qui est présenté comme un être abject et malade :

« Dans Lolita, le roman de Nabokov, que j’ai lu et relu après ma rencontre avec G., on assiste au contraire à des aveux confondants. Humbert Humbert écrit sa confession du fin fond de l’hôpital psychiatrique où il ne tardera pas à mourir, peu avant son procès. Et il est loin d’être tendre avec lui-même.
Quelle chance pour Lolita d’obtenir au moins cette réparation, la reconnaissance sans ambiguïté de la culpabilité de son beau-père, par la voix même de celui qui lui a dérobé sa jeunesse. Dommage qu’elle soit déjà morte au moment de cette confession.
J’entends souvent dire, par ces temps de prétendu « retour au puritanisme », qu’un ouvrage comme celui de Nabokov, publié aujourd’hui, se heurterait nécessairement à la censure. Pourtant, il me semble que Lolita est tout sauf une apologie de la pédophilie. C’est au contraire la condamnation la plus forte, la plus efficace qu’on ait pu lire sur le sujet. J’ai toujours douté d’ailleurs que Nabokov ait pu avoir été pédophile. Évidemment, cet intérêt persistant pour un sujet aussi subversif – auquel il s’est attelé deux fois, la première dans sa langue natale, sous le titre de L’Enchanteur, puis, bien des années plus tard, en anglais, avec cette Lolita iconique au succès planétaire – a de quoi éveiller les soupçons. Que Nabokov ait lutté contre certains penchants, peut- être. Je n’en sais rien. Pourtant, malgré toute la perversité inconsciente de Lolita, malgré ses jeux de séduction et ses minauderies de starlette, jamais Nabokov n’essaie de faire passer Humbert Humbert pour un bienfaiteur, et encore moins pour un type bien. Le récit qu’il fait de la passion de son personnage pour les nymphettes, passion irrépressible et maladive qui le torture tout au long de son existence, est au contraire d’une lucidité implacable. »

 


« Lolita n’est pas une jeune fille perverse, c’est une pauvre enfant que l’on débauche ». En 1975, Vladimir Nabokov, invité sur le plateau d’Apostrophes, déconstruit le mythe de la « lolita » créé par son roman éponyme, dans lequel il raconte la relation entre un homme de 37 ans et une jeune fille de 12 ans.

 

« Il a réalisé de façon compulsive des centaines de portraits de petites filles, dont celui de la véritable Alice. »

 

Lewis Caroll était-il obsédé par les petites filles, notamment par Alice, qui lui inspira son chef-d’œuvre Alice au pays des merveilles ? En tout état de cause, l’écriture et la photographie lui donnaient l’occasion de fréquenter des enfants et de passer du temps seul en leur compagnie.

« Quand je pense à tous ces parents bien-pensants qui lisent à leurs enfants Alice au pays des merveilles avant de les coucher, sans avoir la moindre idée de qui était Lewis Carroll, ça me donne envie de hurler de rire. Il avait une passion pour la photographie et a réalisé de façon compulsive des centaines de portraits de petites filles, dont celui de la véritable Alice, celle qui lui a inspiré le personnage principal de son chef-d’œuvre, l’amour de sa vie, tu les as déjà vues ? » (ndr : propos de G. Matzneff rapportés par Vanessa Springora dans son livre)

 

A lire : Lewis Carroll au pays des fantasmes

https://www.marianne.net/culture/lewis-carroll-au-pays-des-fantasmes-0

 

« Il me montre aussi les photos érotiques qu’Irina Ionesco prenait de sa fille Eva alors qu’elle n’avait que huit ans. »

 

La photographe française Irina Ionesco est connue pour avoir utilisé sa fille Eva, alors pré-pubère, comme modèle dans le cadre de photographies érotiques et pornographiques. Elle a  été condamnée par la Cour d’appel pour « sexualisation malsaine » d’une « très jeune enfant ». Dans son film My little princess, Eva Ionesco s’inspire de sa propre enfance et de sa relation avec sa mère.

« Parce que l’album se trouve en bonne place sur ses étagères, il me montre aussi les photos érotiques qu’Irina Ionesco prenait de sa fille Eva alors qu’elle n’avait que huit ans, les jambes écartées, des bas noirs jusqu’au haut des cuisses en guise de seuls vêtements, son ravissant visage de poupée fardé comme celui d’une prostituée. (Il omet de me raconter que la garde d’Eva a par la suite été retirée à sa mère et qu’elle s’est retrouvée placée à la DDASS à l’âge de treize ans.) »

 

 

« David Hamilton, tu crois que tous ses modèles se sont offertes à l’œil de son appareil photo sans avoir autre chose en tête. »

 

Enfin, Vanessa Springora évoque le photographe britannique David Hamilton célèbre pour ses photos érotiques mettant en scène des adolescentes. Plusieurs femmes dont l’animatrice Flavie Flament, l’ont accusé de les avoir violées alors qu’elles étaient mineures.

« David Hamilton, tu crois que tous ses modèles se sont offertes à l’œil de son appareil photo sans avoir autre chose en tête ? Il faut vraiment être naïf pour y croire… » (ndr : propos de G. Matzneff rapportés par Vanessa Springora dans son livre)

 

« Quand je rêve aux loups / C’est Lola qui saigne. »

 

Pour conclure, laissons Julien Doré exprimer en chanson la souffrance de toutes les jeunes victimes innocentes, dont les vies ont été détruites au nom de l’art, avec son interprétation très personnelle du tube Moi… Lolita.

Moi je m’appelle Lolita
Lo ou bien Lola
Du pareil au même
Moi je m’appelle Lolita
Quand je rêve aux loups
C’est Lola qui saigne
Quand fourche ma langue
J’ai là un fou rire
Aussi fou qu’un phénomène
Je m’appelle Lolita
Lo de vie, lo aux amours diluviennes

Mylène Farmer et Laurent Boutonnat, Moi… Lolita


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Revue Bancal - Auteur

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