Livre // Digestion Dionysiaque

La psychoboxe s'efforce d'écouter ceux qui ont été traversés par leur rencontre avec la violence, qu'ils soient considérés comme auteurs ou victimes. "Éclats de psychoboxe" de Richard Hellbrunn et Lionel Raufast est un ouvrage qui présente et interroge la psychoboxe en croisant les regards de ceux qui la pratiquent depuis longtemps avec assiduité, avec ceux qui ont bien voulu s'y intéresser, du dehors.
Peinture de Jean-Michel Basquiat

Éclats de psychoboxe, est un corpus qui a du corps.
Dès la première page, le ton est donné, dans la préface écrite à quatre mains par Richard Hellbrunn, fondateur de la psychoboxe & Lionel Raufast, président de l’institut de psychoboxe : « La question incandescente de la violence ne saurait se limiter à des théorisations qui la simplifient. ».
Clinique & pratique entre ses pages vont rentrer en résonance. En psychoboxe, au lieu de s’asseoir, on met les gants. Mais c’est déjà un dispositif d’écoute qui se met en place. Place au dire du corps, & seulement après, vient le dire du langage.
La parole vient du corps. On l’oublie trop facilement.
La psychoboxe nous le rappelle.

 

 

« Je crois que la modernité a perdu la capacité à penser le mal (…) » écrit Richard Hellbrunn dans son texte intitulé : Au commencement.

Il y a un trou dans l’aujourd’hui, une fuite de sens & le mal y prospère… La crise n’est pas à venir, nous y sommes, crise sociale, la retraite, les hôpitaux, les confinements… Crise identitaire, qui es-tu ? Tu es quoi ? Binaire, non binaire ? Genderfluid ? Cisgenre ? Tu es où ? Quand il suffit d’être connecté pour faire le tour du monde. Crise économique. Crise écologique. Dans l’inconscient de chacun, un tesson terricide.
Si Dieu est mort depuis longtemps… voici venir la mort du temps, avons-nous encore le temps ?
& la guerre à pas de louve qui se rapproche…
& ça consomme dans les pays riches, ça consomme toujours plus.
Plus de temps pour le doute, plus de temps pour se questionner, plus de temps pour penser le mal, il faut aller vite, qu’importe où.
Le réel est devenu plat comme un écran blanc, livide.
Il n’y a qu’à regarder : Tiktok, réseau social développé par l’entreprise chinoise ByteDance.

 

La dimension psychologique & corporelle de la psychoboxe prend la mesure de ce réel livide & l’invite à un simulacre de combat, dans un cadre stricte. Avec des coups atténués, la violence peut enfin avouer sa peur. Avec le sérieux des jeux d’enfants, la violence se « détend« , se propulse, ne tourne plus en rond, existe en face à face & s’ouvre à la parole.
« La maturité de l’homme, c’est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant », écrit Nietzsche dans Par-delà le bien et le mal (1886).

 

 

Si tu ne sais pas où aller. Regarde d’où tu viens…
Qu’on soit psychoboxeur, patient, lecteur, simplement humain, on se demande tous : comment le vivre cet aujourd’hui ?

 

 

Pour ma part, psychoboxeuse formée par Lionel Raufast & Aimé Disset. Autrice & art-thérapeute aussi, en maison d’arrêt depuis plus de vingt ans avec le médium écriture, je me dis que la psychoboxe est peut-être bien l’ancêtre de toutes nos thérapies existantes.
L’humain a frappé avant de parler.
L’humain a pleuré avant de parler.
Il a frappé la pierre pour l’effiler, lui donner sens. Pour inscrire. Il a frappé au nom du sens à venir.
& les mots apparaissent & le corps se retire doucement & la violence reste toute seule.

 

 

J’ai toujours tendu la main à cette violence, avec un stylo & une feuille blanche & après, je propose l’acte de lire, avec toujours une micro scène, des micros mouvements, des micros mimiques, tout en tout petit, mais jamais « sans mon corps ».
J’ai appelé ce dispositif élaboré en prison : l’écriture corporelle.

Aussi, l’outil thérapeutique que représente la psychoboxe est-il un atout majeur dans mes recherches. Point & poing se sont rencontrés.
Cette approche psychocorporelle questionne les origines, l’archaïque, les points obscurs.
La crise de l’aujourd’hui, c’est aussi la perte de nos poings de repères.
Comment retourner en hier ?

Tendre la main, désormais, ça peut être aussi, enfiler des gants de boxe pour descendre dans le pays de l’Archaïque.

 

 

*****

Dans Éclats de psychoboxe, Pascal Martin écrit, c’est : « (…) un espace symboligène où les mots vont pouvoir s’ancrer dans un ressenti physique. »
Son texte s’intitule Ma vie et la psychoboxe.
Cet auteur nous revient de la mort, il a été déclaré mort. Son témoignage est une rencontre avec son autre-au-delà. Mystique & réel. Pour lui, le psychoboxeur : « (…) est là pour souligner pas pour montrer comment faire ; il est là pour pro-voquer (pro-vocare : pour que ça parle), pas pour gagner (…) »
Clairement, il questionne l’enjeu narcissique.
Revenir de la mort doit laisser des traces à l’égo. Il sait de quoi il parle.
& de façon implicite, il demande à toutes personnes formées à la psychoboxe, pourquoi, pour qui, on pratique ?
& il ajoute : « La seule réponse qui vaille relève de l’intime, plongeant ainsi le sujet dans la solitude de sa décision. Le doute devient dynamique & mouvement de pensée. »

 

 

Je le répète, au commencement était la psychoboxe, ni le verbe, comme il est dit dans l’Évangile selon St Jean, ni l’émotion, comme a pu le dire Louis-Ferdinand Céline…
« Au commencement était l’acte » écrit Freud à la fin de Totem & tabou, en se référant au Faust de Goethe.
Freud connaissait la psychoboxe ?

 

 

Lionel Raufast, lui, dans son texte intitulé Aux chairs que brûle la violence écrit : « Je rêve parfois que j’ai toujours été un psychoboxeur. »

Cet auteur nous vient du théâtre, d’un « théâtre thérapeutique », ou psychodrame, avec des « adolescents délinquants ». Il faisait aussi du « football thérapeutique ».
Jusqu’à sa rencontre avec Richard Hellbrunn « Zeus en personne« . Le coup de foudre. « (…) coup de foudre nietzschéen, de ceux qui vous arrachent à vos hauteurs solitaires & restaurent votre puissance d’agir dans ce monde-là. »

 

 

Psychoboxeur, didacticien, il nous permet de réfléchir à la nécessité du tiers : « (…) cette fonction du tiers posté sur la lisière de la rixe. » Il nous rappelle aussi que « La morale est l’ennemi du clinicien ». Que « L’indignation tient alors lieu de pensée. »
Ça, je l’ai vécu dans mes chairs. À la maison d’arrêt de Mende, en Lozère, avec des personnes pédocriminelles.
Tous les vendredi, après l’atelier, je pleurais… Indignée, impuissante, en colère… Ça a duré le temps que ça a duré. J’y ai travaillé six ans.
Six ans à me défaire de ma faculté de juger. Six ans pour que l’impuissance donne naissance à l’impuichance, à moi de travailler ; à moi de transformer l’une en l’autre. L’impuissance est une magistrale leçon de vie.

 

 

Venons-en au texte de Vincent Estellon, intitulé : « La psychoboxe et ses effets sur le transfert, la clinique, la métapsychologie et la technique thérapeutique ».
Lui aussi, il a pleuré.
Il raconte qu’il assiste à un combat & qu’il se met à pleurer involontairement, presque à la place de celui qui combat, il écrit : « C’est cela même que René Roussillon nomme Transfert par retournement. Ici le sujet ou patient qui n’a pas les moyens psychoaffectifs de vivre, ressentir ou d’exprimer des sensations ou émotions restées enclavées dans son inconscient amential (Christophe Desjours) est susceptible de faire vivre (par retournement paradoxal) à son thérapeute (…) »

Autrement dit, ce que l’autre ne peut symboliser nous revient en charge. Ce texte découpé en trois actes, pointe autant le contre-transfert que l’intergénérationnel, que d’autres poings tout aussi passionnants…

 

 

Je ne peux, malheureusement, saluer tous les auteurs de ce corpus, impossible cependant de résister à : « Une bonne fois : ‘‘touché, coulé’’ «  d’Olivier Bour, professeur de philosophie. On rencontre Simone Weil, les Upanishads, Descartes, Valère Novarina, Spinoza, Esope, de quoi se sustenter, un festin d’intelligence. Pour ne citer qu’une phrase en écho avec ma conclusion : « & il s’agit d’en causer sur les braises encore fumantes de l’émotion provoquée par le mouvement des deux corps boxant. »

 

La violence est cuite avec la psychoboxe.
Cuite, au sens de digeste. Hein, entre le dire & le geste… Ce dispositif thérapeutique est une forme de cuisson. C’est un dispositif organique, un couloir, un œsophage, permettez-moi la métaphore anatomique, qui mène droit à l’estomac, à ce qu’on n’a pas digéré.
Poing noir au creux de soi. Qui nous fait dégobiller à l’intérieur, haine & rancœur & qui peut se transformer en passage à l’acte désastreux.

 

 

Ce corpus est aussi un rôt de joie, pour moi, cela n’engage que moi, à la face « de toutes les résistances institutionnelles, groupales et personnelles, plus ou moins teintées d’idéologies : certains considérant que la violence est inévitable, voudraient la juguler en renforçant une remise en ordre de la société. Ils gardent contre vents et marées toute leur confiance en un appareil répressif et pénal qui a largement fait la preuve de son inefficacité en la matière. » dixit Richard Hellbrunn.

 

 

À bon entendeur, salut !

 

Valéry Meynadier, mai 2023

 

 

Éclats de psychoboxe, sous la direction de Richard Hellbrunn et Lionel Raufast, éditions Publishroom (2023)

 


Télécharger le PDF


Revue Bancal - Auteur

Commentaires


Les champs marqués d'un * sont obligatoires.