Littérature // Migrants, migration

Le 3 octobre 2013, 368 personnes meurent dans la Méditerranée à la suite du terrible naufrage près de Lampedusa, qui a tant choqué et alerté le monde entier sur la crise humanitaire qui se jouait. Dix ans après, la situation est toujours dramatique : au moins 28 000 enfants, femmes et hommes se sont noyé.es depuis 2014 (source SOS Méditerranée France). A travers l'évocation incarnée de ces tragédies humaines, les trois livres que nous avons sélectionnés mettent un nom, un visage, une identité derrière les statistiques. Un changement de point de vue qui invite à la réflexion sur les questions d'hospitalité et de frontières.

Nombre de romans ont pour thème l’exil, l’abandon de la terre natale, la fuite de la guerre ou de la misère, pour rejoindre un eldorado où la vie serait meilleure. Continents à la dérive de Russell Banks, Les disparus de Daniel Adam Mendelsohn, Les déracinés de Catherine Bardon en sont quelques exemples célèbres. Les trois livres que nous avons choisis de vous présenter ici rendent hommage à tous ces hommes et femmes qui tentent de traverser la méditerranée pour atteindre l’Europe.

 

 

Eldorado, roman de Laurent Gaudé, Actes Sud (2007)

A Catane, le commandant Salvatore Piracci travaille à la surveillance des frontières maritimes. Gardien de la citadelle Europe depuis vingt ans, il sillonne la mer, de la Sicile à la petite île de Lampedusa, pour intercepter les bateaux chargés d’émigrés clandestins qui ont tenté la grande aventure en sacrifiant toute leur misérable fortune… en sacrifiant parfois leur vie, car il n’est pas rare que les embarcations que la frégate du commandant accoste soient devenues des tombeaux flottants, abandonnés par les équipages qui ont promis un passage sûr et se sont sauvés à la faveur de la nuit, laissant hommes, femmes et enfants livrés à la plus abominable des dérives. Un jour, c’est justement une survivante de l’un de ces bateaux de la mort qui aborde le commandant Salvatore Piracci, et cette rencontre va bouleverser sa vie.

Sous la plume lyrique et poétique de Laurent Gaudé, le lecteur est confronté à la sombre réalité de l’exil : l’abandon d’un pays, la perte d’identité, les dangers du voyage, la cruauté des passeurs, l’inhospitalité européenne. Ce texte sublime, qui s’adresse directement à notre humanité, redonne de la dignité à ces hommes et ces femmes en quête d’une vie meilleure, notamment en mettant en lumière l’universalité des rêves et des espoirs humains.

 

 

 

 

A ce stade de la nuit, récit de Maylis de Kerangal, Gallimard (2015)

Lampedusa. Une nuit d’octobre 2013, une femme entend à la radio ce nom aux résonances multiples. Il fait rejaillir en elle la figure de Burt Lancaster – héros du Guépard de Visconti et du Swimmer de Frank Perry – puis, comme par ressac, la fin de règne de l’aristocratie sicilienne en écho à ce drame méditerranéen : Le naufrage d’un bateau de migrants. Ecrit à la première personne, cet intense récit sonde un nom propre et ravive, dans son sillage, un imaginaire traversé de films aimés, de paysages familiers, de lectures nomades, d’écrits antérieurs. Lampedusa, île de littérature et de cinéma devenue l’épicentre d’une tragédie humaine. De l’inhospitalité européenne aussi.

C’est un exercice singulier auquel se prête Maylis de Kerangal ; l’autrice nous fait part de ses réflexions nocturnes sans filtre, sans peur des digressions, qui prennent la forme de déambulations intellectuelles, qui, de résonances en rebonds, de souvenirs en réminiscences, dressent le tableau d’un imaginaire commun, truffé de références culturelles, autour de l’île de Lampédusa. Comme une cartographie intellectuelle, une réappropriation des territoires par les humains, au-delà des frontières.

 

 

 

 

 

Yoga, roman d’Emmanuel Carrère, P.O.L. (2020)

C’est un livre sur le yoga et la dépression
Sur la méditation et le terrorisme
Sur l’aspiration à l’unité et le trouble bipolaire
Des choses qui n’ont pas l’air d’aller ensemble
En réalité, si : elles vont ensemble.

Le roman comporte plusieurs parties, toutes reliées mais traitant de sujets différents : yoga et méditation, terrorisme, dépression, musique puis migration.

Partiellement rétabli de sa dépression, Carrère se rend sur une île grecque où il possède une maison et en profite pour mener, sur une île voisine, un atelier d’écriture dans un immense centre d’accueil. C’est l’occasion pour l’auteur de rencontrer des adolescents, tous survivants d’un périple dangereux, tous déchirés entre l’espoir d’une vie meilleure et des blessures profondes. Les mots toujours justes et précis d’Emmanuel Carrère nous permettent d’appréhender l’horreur et les tragédies qui entourent ces histoires d’émigration clandestine.

 

 

La rédaction


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Revue Bancal - Auteur

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