Politique // Les loups aux portes de Paris

"Les loups sont entrés dans Paris." Si en ce moment, ce refrain populaire hante nos esprits, c'est qu'il annonce l'arrivée du fascisme et du totalitarisme, comme en écho aux idées d'extrême droite qui gangrènent le débat politique de la campagne présidentielle. A l'instar de Serge Reggiani, l'écrivain allemand Edgar Hilsenrath transcrit l'effroi et la violence de la montée du nazisme dans la plupart de ses romans. Dans Le Nazi et le barbier notamment, des mots simples et cinglants démontrent de façon implacable comment la propagande haineuse se nourrit des peurs et des rancœurs des citoyens pour mieux les ensorceler. Lisons Hilsenrath, écoutons Reggiani, Ferrat aussi… plutôt que le bruit des bottes.

Les loups sont entrés dans Paris interprétée par Serge Reggiani est une allégorie de l’avancée de l’armée allemande vers Paris en 1940. C’est aussi une chanson prophétique qui annonce plus généralement le retour du fascisme.

 

 

Cette arrivée de l’extrême droite chantée par Reggiani nous fait penser à l’écrivain allemand Edgar Hilsenrath qui dépeint dans son roman Le nazi et le barbier la propagation et l’enracinement des idées haineuses avant l’arrivée au pouvoir d’Hitler .

 

Publié aux Etats-Unis en 1971 où il rencontra immédiatement un vif succès, Le Nazi et le Barbier fut assez mal accueilli par les éditeurs allemands, qui virent d’un très mauvais œil l’usage de l’humour noir et de la dérision dans l’évocation d’un sujet aussi sensible que l’holocauste. En France, il fut réédité en 2010 par les éditions Attila qui donnèrent une seconde vie à cette pépite littéraire.

 

Le Nazi et le barbier est un roman schizophrénique dans lequel le héros « Max Schulz, fils illégitime mais aryen pur souche », bourreau et génocidaire nazi, est amené à tuer son meilleur ami juif, Itzig Finkenstein. Après la guerre, afin de sauver sa peau, il usurpe l’identité de ce dernier et s’enfuit en Palestine où il épouse totalement la cause juive en devenant un sioniste militant et un bon soldat d’Israël. Sur un ton burlesque, tantôt cru, tantôt cynique, peuplé de personnages insolites et grotesques, le roman évoque la bêtise humaine, l’embrigadement des esprits et la montée des extrêmes, mais Hilsenrath nous parle aussi et surtout de rédemption, de pardon et de devoir de mémoire.

 

On retiendra les boulettes d’aigreur et de frustration que le discours d’Hitler permet à une foule galvanisée et en attente de jours meilleurs de recracher collectivement.

« Le Führer avait à peine prononcé ces dernières paroles que le ciel fut pris d’épouvante, tant ce discours était puissant. […] La tête me tournait. Je sentais comme une boule dans la gorge. Qui m’étranglait. Je voulus la recracher. […] « Ici sont réunis les mécontents de toute l’Allemagne ! » […] Il y eut comme un frémissement dans la foule. Et d’un seul coup… oui, c’est comme ça que ça s’est passé… d’un seul coup ! quelqu’un a crié. Nous avons tous crié. Notre main droite. Partie dans les airs. Toute seule. Tous nous criions comme des possédés. […] Savez-vous l’effet que ça fait quand on crache une boule coincée dans la gorge ? Et savez-vous l’effet que ça fait, des millions de boules recrachées qui s’envolent ? »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans Terminus Berlin, qui raconte le retour d’un écrivain allemand dans son pays natal après son exil aux Etats-Unis, l’auteur évoque la manipulation de masse qui s’appuie sur le besoin de reconnaissance et de revanche d’une jeunesse sans perspectives en lui donnant l’illusion de reprendre sa vie en main, de retrouver une existence et une dignité.

 

« Nous sommes un peuple séduit, dit le gardien. Croyez-vous à l’innocence de ceux qui ont été manipulés ? […] J’étais tout jeune à l’époque, dit le gardien. Les uniformes nazis me plaisaient bien, on avait l’air de quelqu’un quand on en portait un. On était de nouveau quelqu’un. Vous comprenez ce que je veux dire. J’étais chômeur, et les nazis m’ont donné du travail. […] Et nous avons ensuite été rejoints par les millions qui avaient d’abord douté, et qui voulaient croire à l’avenir promis par Hitler. On était là. Moi aussi. Et je me suis rendu compte que je mesurais un mètre quatre-vingt-cinq, juste la bonne taille pour entrer dans la SS. Ah qu’est-ce que j’y étais bien ! […]

– Hitler vous a parlé ?

– Il nous a parlé à tous. Et chaque fois qu’il parlait, on avait le cœur battant, et chacun de nous semblait grandir.

– Et la liberté d’expression réprimée par les nazis ?

– Oh, vous savez, moi je n’ai jamais beaucoup parlé.

– Et les juifs ?

[…]

– A l’époque, je n’entendais que ce que j’avais envie d’entendre. »

– Et qu’est-ce que vous en pensiez ?

– Rien, dit le gardien. Qu’est-ce que vous voulez que j’en pense ? C’est malsain de pensez. Celui qui pense trop se retrouve au camp de concentration. »

 

Dans sa chanson Le bruit des bottes, Jean Ferrat raconte « comment ils opèrent pour transformer les esprits, les citoyens bien pépères en citoyens vert-de-gris » et nous prévient que « Il ne faut plus dire qu’en France, on peut dormir à l’abri. »

 

« C’est partout le bruit des bottes, c’est partout l’ordre en kaki
En Espagne on vous garotte, on vous étripe au Chili
On a beau me dire qu’en France, on peut dormir à l’abri
Des Pinochet en puissance travaillent aussi du képi
Quand un Pinochet rapplique, c’est toujours en général
Pour sauver la République, pour sauver l’Ordre moral
On sait comment ils opèrent pour transformer les esprits
Les citoyens bien pépères en citoyens vert-de-gris

[…]

C’est partout le bruit des bottes, c’est partout l’ordre en kaki
En Espagne on vous garotte, on vous étripe au Chili
Il ne faut plus dire qu’en France, on peut dormir à l’abri
Des Pinochet en puissance travaillent aussi du képi
Travaillent aussi du képi. »

 

 

Céline

 

Le Nazi et le barbier, roman d’Edgar Hilsenrath, Editions Le tripode, 2010 (publication originale 1971)

Terminus Berlin, roman d’Edgar Hilsenrath, Editions Le tripode, 2019 (publication originale 2019)


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Revue Bancal - Auteur

Commentaires


  1. Merci pour l’article
    Je découvre le livre

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