Littérature // Cette nuit-là

Une jeune femme, vraiment très jeune et enceinte, s'installe dans une petite ville. Elle rencontre Marianne, une puéricultrice qui s'occupera de son enfant. L'enfant disparaîtra... Une enquête sera ouverte. Connait-on ses proches, ses voisins, se connaît-on vraiment ? Peut-on envisager l'impensable ? Que mettent en lumière les mal nommés "faits divers" ? Viviane Campomar signe ici un roman psychologique haletant qui interroge finement la maternité et le rapport à l'autre.

L’inengendrée
C’est un livre qui nous laisse un goût « a-mère ». Selon le préfixe latin « a », privé de…
Ca fait quoi d’être privé de mère ? demande ce livre et d’y répondre.
L’absence de la mère laisse entendre l’absence à soi-même. Il ne suffit pas d’être mis au monde.
Ca fait quoi de ne pas être ?

 

« L’autre » personnage central de « Cette nuit-là », n’a pas eu de mère, sa seule figure d’attachement, c’est sa soeur qu’elle ne voit jamais. « L’autre » devient mère, elle a dix huit ans.
Dès le début, le pire s’annonce. Quel visage prendra-t-il ?
Il s’approche à pas de loup, pendant que le lecteur plonge entre les lignes, il veut et ne veut pas savoir.
Viviane Campomar évite la noyade en entrelaçant deux voix, celle de « L’autre » et celle de Marianne, sa voisine, structure pulmonaire qui permet de reprendre souffle, deux polices différentes, deux points de vue sur l’histoire, vue du dedans, vue du dehors.
Vue du dedans, nous sommes dans « L’autre » qui raconte la biologie de la solitude, l’altération des sens, la réciprocité impossible, comment l’organisme sonne incohérent à chaque pas, chaque mot, chaque geste.
Marianne, la voisine de « L’autre », la regardera parfois comme une petite souris de laboratoire, pas normale, quelque chose en moins. La vie peut-être ? Pourtant « l’autre » ne manque pas d’instinct de survie. « L’autre » donne le change, elle se calque sur ce que les gens attendent d’elle.

 

William Faulkner écrit dans les Palmiers Sauvages : « Oui, pensa-t-il. Entre le chagrin et le néant je choisis le chagrin. »
« l’Autre » a été choisie par le néant…

 

Ecrire le choix du néant est le choix de l’auteure, elle parvient au fil des pages à faire ressentir à son lecteur quelqu’un qui ne ressent rien et croyez-moi, ça fait bizarre. Comment vivre sans ressentir les choses ? Est ce vraiment possible ?
« Tu as toujours vécu dans le présent. Le passé t’indisposait. Et tu ne voulais pas fixer le présent. » dit « L’autre » à propos d’elle-même en ateliers d’écriture, car dire « je » lui est difficile, elle dit « tu » à propos d’elle-même; si peu d’émotions, si peu de sentiments, comment dire « je » ?

 

Dès lors, que devient le passage à l’acte quand « L’autre » dénuée de « je » et d’empathie agit ? Quelle est sa part de responsabilité ?

 

Devant ce personnage qui a manqué de chance dès sa naissance, un frisson contre-transférentiel m’anéantit.
Je glisse de la fiction au réel.
J’avoue, je travaille en maison d’arrêt, et la question du passage à l’acte se pose à moi bien souvent : « qu’est ce qu’il (elle) fait pour être là entre ces murs ? ».

 

Et ce livre, dans un style neutre, sans emphase nous trace la mince frontière entre le passage à l’acte et le recours à l’acte.*
A nous de le voir.

 

Viviane Campomar a opté pour un regard aviaire, elle nous fait voir de très haut les évènements, personne n’est accusé, ni « L’autre » ni même la vie. Marianne regarde « L’autre » de façon chirurgicale. Elle se questionne beaucoup : « Comment se comportait-elle le soir chez elle ? ( … ) Qu’est ce qui enrayait à ce point ses réflexes de mère ? »
Le commissaire Théo, lui même quand il découvre l’invraisemblable ne juge pas. Il ne sait pas vraiment à vrai dire ce qu’il voit. Il a trouvé l’enfant intérieur de « l’autre » mais que faire ? Que lui dire ?
Le lecteur entend aussi l’enfant intérieur de « l’autre » mais comment répondre ?
Plutôt que la justice, n’est-ce pas à la médecine de prendre en charge « l’autre ? »

 

Que ce livre soit édité aux Editions de Janus n’est pas un hasard. Janus, le dieu des clefs, des portes, qui regarde devant et derrière, qui est bifrons ( à deux têtes).
Les Editions de Janus ont prêté leur double tête à celle qui n’en a pas, malgré les apparences, ni tête, ni corps. Au monde sans y être. Viviane Campomar et les éditions de Janus tentent un coup de force et ils y arrivent, grâce au temps de la fiction, « l’autre » existe et s’exprime, du moins, montre sa rachitique réalité.
Celle-là même que je peux pressentir parfois au détour d’un couloir en maison d’arrêt. Ni tête, ni temps, juste un corps qui me frôle, inhabité.

 

La réponse, s’il doit y en avoir une, à Cette nuit-là, c’est d’aimer nos enfants.

 

* « Recours à l’acte : manifestation de toute puissance face à un objet externe susceptible de réveiller le traumatisme irreprésentable et suscitant ainsi une menace d’anéantissement. » Claude Balier, La psychanalyse et les « agirs », Société Psychanalytique de Paris

 

valérY Meynadier, écrivaine, animatrice d’ateliers d’écriture et art-thérapeute

 

Cette nuit-là, Viviane Campomar, Editions de Janus (2017)

 

 

 


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Revue Bancal - Auteur

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