Littérature // Cachées par la forêt d’Eric Dussert

Au moment de son impression, Eric Dussert réalise que son recueil "Une forêt cachée" ne compte que 17 portraits de femmes sur les 156 portraits d'écrivains oubliés. Il décide alors d'en écrire un nouveau consacré aux très nombreuses créatrices "cachées par la forêt" de la littérature. "Cachées par la forêt, 138 femmes de lettres nous contemplent..."

« Trois heures du matin. Je perçois cette seconde, et
puis cette autre, je fais le bilan de chaque
minute. Pourquoi tout cela ? – Parce que je suis né.
C’est d’un type spécial de veilles que dérive la mise en
cause de la naissance. » Cioran

 

De l’inconvénient d’être née femme

 

Lire le dernier livre d’Eric Dussert, Cachées par la forêt édité à la Table Ronde, c’est faire acte de mémoire. Bienvenues, Mesdames !

Bienvenue Lil Boël, surnommée « la madone des clochards ».

Bienvenue Ono No Komachi, poétesse japonaise du IXe siècle, « sensuelle, langoureuse et très attachante ».

Bienvenue Annette Von Droste, écrivaine & compositrice allemande du XIXe siècle, dont : « le seul moyen de manifester son désir d’épanouissement est de dénouer ses cheveux, dans la chambre où elle est recluse. »

 

Seulement, au fil des pages où piocher devient naturel – car tout peut être lu sans chronologie – l’heureux « Bienvenue » cède au « Pourquoi ? ».

Pourquoi ce jaloux silence ?

La femme a fait quelque chose à l’homme ?

Le faire naître ?

 

En 1934,  Mireille Maroger, avocate, part en Guyane. En 37, elle écrit un livre : Bagne, publié par Denoël, où elle dénonce les abus de pouvoir des surveillants & les conditions de vie abjectes des bagnards ; elle se voit même intenter un procès pour diffamation par cent dix huit gardiens militaires de la Guyane ! Elle meurt à trente ans dans un crash d’avion. « Cette jeune femme ailée avait encore beaucoup à donner. »

& rien ne reste d’elle, ses livres restent introuvables.*

 

Rien également, ou si peu, sur Lydia Tchoukovskaïa. Deux livres édités, Sophia Petrovna & La Plongée. & des entretiens avec Anna Akhmatova, dont elle était l’amie. D’origine russe, « en plein cœur des purges staliniennes. »

Eric Dussert nous dresse un portrait poignant de Lydia Tchoukovskaïa « Une haute idée de la dignité de l’Homme imprègne La Plongée et rend sa quête de vérité cardinale, redoublée encore par ce combat pour les mots, superbe et touchant, comme le miracle toujours renouvelé de la neige, belle et changeante, idéelle parfois, sublime toujours. »

 

Oui, pourquoi ?

 

Outre la découverte de talents féminins, Eric Dussert en profite pour labourer la bien-pensance, « Ne reste qu’à désencombrer la réceptivité de la société, des lecteurs et des lectrices, en premier lieu, et des institutions pour finir. En somme, d’ouvrir enfin les esprits. »

 

Comment va-t-il s’y prendre ?

Il s’interroge : « Aurais-je été misogyne sans le savoir ? »

Est-ce que Eric prend à partie Dussert ?

 

Aux lectrices, d’entendre.

 

Sur le ton qu’on lui connait, oratoire & taquin, il montre la misogynie à l’oeuvre, quotidienne & saugrenue.

 

Livre qu’on pourrait qualifier de responsable, au sens d’une vue sur l’avenir, d’une promesse peut-être illusoire mais tenue dans cette forêt-là. Chaque page tournée sème le bon vent, « si l’on est passé à côté des livres de l’anglaise Jeannette Winterson » & de toutes les autres, ça ne se renouvellera pas…

 

Cependant, la question reste entière.

Pourquoi cette mise au banc ?

Au banc des accusées, au banc des exclues.

 

Elles sont « partout et nulle part » souligne l’auteur dans son préambule.

 

Partout, jusque dans l’homme car l’homme vient de la matrice. & nulle part, car l’homme ne digère peut-être pas de venir de cet endroit-là… **

 

Attention, Mesdames du XXIe siècle, Cachées par la forêt nous écroûte sérieusement les esgourdes !

 

valérY meYnadier

http://www.m-e-l.fr/,ec,1323

 

Cachées par la forêt, 138 femmes de lettres oubliées, Éric Dussert, Editions La table ronde (2018)

 

* Bagne aux Editions Denoël & Petit guide juridique de la femme, chez le même éditeur

** La Genèse rattrape cette erreur de la nature, « l’Eternel Dieu fit tomber un profond sommeil sur l’homme, qui s’endormit ; il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa place. L’Eternel Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise de l’homme, et il l’amena vers l’homme. »

Si la donnée biologique s’inversait ?

Qu’en serait-il ?

Fini la maman, fini d’être dépendant.

L’homme deviendrait libre de la femme. Fini de devoir prouver qu’il peut être libre.

Fini de vouloir la cacher, la dénigrer, la tuer… parce que sombre matrice ou bien faute de ne pouvoir y retourner ?

Libre !

Daniel Zagury, expert psychiatre, le précise en d’autres mots, « Pour tous les tueurs en série que j’ai examinés, je me suis demandé s’il ne s’agissait pas d’un matricide déplacé. » (L’énigme des tueurs en série aux Editions Plon)

Des chercheurs prétendent que le fœtus pourrait être porté dans un testicule ou bien dans le péritoine.

Des prétendants ?

 

 


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Céline Chartier - Auteur

Céline est éditrice et co-fondatrice de la revue Bancal.

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