Littérature // Bruno Baudart, notre artiste du mois

Ecrivain de roman et de nouvelles noires, Bruno Baudart est un des auteurs de l'ouvrage collectif des éditions Bancal (devenues Bancal Livre), "Illusion(s)". En octobre sortira son anthologie de polar noir "Ces femmes couleur sang" qui a pour thème central les violences faites aux femmes et qui rend hommage à toutes les femmes que la vie a blessées et qui enfin rendent les coups. Rencontre avec cet amoureux des mots, de la Beat Generation et des histoires humaines.

Quelques mots pour décrire ton univers d’écrivain ?

Univers d’écrivain… Je n’ai fait que boucler la boucle avec entre deux : des rencontres qui m’ont enrichi de manières et de matière, la matière des z’humains, leur façon d’être et de vivre, la venue – magique – dans ma vie de mes deux enfants, ces différents boulots plus ou moins enthousiasmants – exaltants que j’ai dû assumer en marge de ma passion pour les mots et entre les deux, le début et le retour à la case départ, j’ai toujours été dans mon monde.

 

Mon monde à moi, c’est-à-dire quand, enfant, je m’isolais souvent, à la fois si proche et si loin de ma famille et là, à l’aide de mes soldats, je m’immergeais alors dans un monde rempli d’histoires, de batailles épiques, tout un monde où mes peurs d’enfant étaient momentanément reléguées au second plan, mon imagination m’ayant fait toujours craindre le pire. Maintenant, après toutes ces années de vie plus ou moins commune avec le monde, avec les autres moi-mêmes, je me retrouve de nouveau seul avec toutes mes histoires qui ont évolué au fil du temps et que je me trimbale dans la tête et partout avec moi. Des histoires non plus de batailles chimériques, homériques avec ma centaine de petits soldats, mon armée de marque Starlux, non, mais des histoires que j’écris et me raconte, des histoires devenues violentes et noires avec l’âge, nouvelles noires où l’étude des personnages que je n’ai jamais cessé d’observer pendant toutes ces années se matérialise là, et prend enfin tout son sens. Un credo, mon credo : observer pour mieux retranscrire, parce qu’il n’y a pas d’écrivain et d’auteur sans mémoire. J’ai d’abord écrit une centaine de nouvelles – ce recueil, Ces femmes couleur Sang, en est en quelque sorte la quintessence – puis un roman pour l’instant à l’état de manuscrit : Le Dieu des Plumes. Une sorte de polar/sérial killer/psyché comme l’a si bien défini quelqu’un proche de moi.
Et toujours mon mode de fonctionnement : moi derrière et eux – les autres – devant. Devant moi à s’agiter, à vivre sur la scène et moi qui les regarde sans parvenir souvent – toujours ? – à m’inviter dans LEURS vies.

 

Et enfin ces derniers temps, j’ai célébré la grande retrouvaille avec l’éternelle compagne de l’écrivain, celui qui passe des heures et des jours et des semaines et des mois devant son écran et qui, finalement, ne cesse jamais d’écrire même quand il n’écrit pas. Oui, ma meilleure ennemie à moi : la solitude. Avec un grand S.

 

Quel est ton parcours ?

Parcours… On ne peut plus classique. Plutôt bon en français, en rédaction ma matière de prédilection, rédactions comme on disait à l’époque lues souvent devant toute la classe. Et moi tout heureux et fier et surpris, néanmoins, que l’on s’intéresse à mes écrits. Puis première « nouvelle » à l’âge de neuf/dix ans, l’histoire d’une petite fille qui rentre chez elle après l’école et qui pleure. Pourquoi ? Mystère, je n‘avais pas la fin. Puis bac littéraire avec épreuve orale et l’examinatrice qui me remercie de lui avoir fait découvrir un nouveau sens au poème Le Cygne de Mallarmé. Bonne note, et merci madame.

Ensuite écriture de poèmes dédiés à quelques muses, au féminin bien sûr, l’époque bénie des chemises de bûcheron à grands carreaux et du patchouli qui nous brûlait les sens. Si doux souvenirs.
Puis une longue coupure sans écrire durant laquelle je me suis intéressé à deux espaces d’inspiration vitale : la photographie – et je suis devenu photographe. Et les rencontres amoureuses. Mon domaine d’extension de lutte finale perso où je me suis perdu et retrouvé, perdu de nouveau pour finalement comprendre aujourd’hui que l’errance est une façon comme une autre d’apprendre à vivre. Et vivre pour apprendre.

J’ai ensuite repris l’écriture grâce ou à cause d’une rencontre féminine – celle que l’on surnomme la lectrice idéale – et désormais et ad vitam æternam beaucoup de lecture, et écrire tous les jours bien sûr, encore et toujours.

 

Puis j’ai voulu m’approcher un peu plus des Dieux de l’écriture et de leur vérité – leur style en fait, la façon d’écrire -, alors pour commencer direction les concours de nouvelles. Excellente école que ces concours où il faut tenir compte des contraintes qui, ceci dit, stimulent la créativité au lieu de la contraindre : respect du nombre de signes, des thèmes, des délais, etc.
Ayant gagné quelques concours comme je me l’étais promis, et suivant les conseils de certains auteurs de romans, je me suis ensuite dirigé vers le roman justement. Je viens de terminer mon premier manuscrit, Le Dieu des Plumes, et si je vous dis que ça parle de violence, de sérial-killer et d’une femme au centre de toutes les attentions, en serez-vous surpris ?
La boucle qui se boucle, je vous le dis, la boucle qui se boucle… En fait on évolue mais on ne change pas vraiment avec le temps. Enfin c’est l’impression que j’ai de ma vie.

 

Quelles sont les œuvres ou les artistes qui t’inspirent et t’influencent ?

Œuvres et auteurs qui m’ont inspiré… Tout d’abord et découvert dans la si petite mais initiatrice bibliothèque familiale, à l’âge de 10/11 ans : Auguste le Breton et ses deux ouvrages majeurs : Les hauts murs et La loi des rues. Ensuite un roman lu, relu et re-relu : Tant qu’il y aura des hommes, de James Jones.

 

Puis j’ai eu ma période Boris Vian, mais en fait je préfère Vernon Sullivan et son chef-d’œuvre absolu de littérature noire : J’irai cracher sur vos tombes. Aussi, à la même époque, Jacques Prévert pour son style que je définissais alors de « en roue libre », au vu de sa syntaxe, et la beauté de ses textes dans le recueil Paroles, et Théophile Gauthier pour son inoubliable Capitaine Fracasse – l’utilisation de la langue française comme un exemple.

 

Puis je suis passé aux « Bouh ! fais moi peur ! » avec les maîtres du genre : Richard Matheson et ses Seins de glace et La maison des damnés – trouillomètre à zéro garanti. Et l’inévitable Stephen King, celui de la première période : Cujo, Carrie, La grande marche, Shining et notamment un roman très introspection féminine : Jessie. Et puis enfin son recueil de quatre nouvelles, des novellas vu leur longueur, Différentes saisons avec surtout ce texte Le corps où certains critiques US ont comparé Stephen the King avec le meilleur des auteurs américains.

 

Auteurs américains que je me suis empressé de lire… James Cain et son incontournable : Le facteur sonne toujours deux fois, Steinbeck et le classique A l’est d’eden, Faulkner où la beauté de ses titres (Absalon absalon !, Lumière d’août, Le bruit et la fureur…) n’a d’égal que son phrasé. Et puis encore Harry the freaks Crew, James Jones de nouveau avec sa Ligne rouge, William Vollmann pour Des putes pour Gloria, Richard Elman et son livre/scénario sur Taxi Driver, Richard Brautigan – La pêche à la truite en Amérique – et d’autres encore, Don Delillo, David Goodis, Jim Thompson, ‘Chinaski’ Bukowski…

 

Et puis je suis tombé dans la potion magique de la Beat Generation : Kerouac (Sur la route of course), Allen Ginsberg, Burroughs et l’initiateur moins connu de ce mouvement libérateur dans la forme et dans le fond, j’ai nommé : Neal Cassady avec son posthume Un truc très beau qui contient tout. Je n’oublierai jamais non plus tous ces pulp magazines achetés et ramenés par mon oncle où j’ai pu très jeune découvrir l’art de la nouvelle (une course éperdue vers la ligne d’arrivée – le mot fin) et je finirai avec l’immense, le magnifique, le grand sage Cormac McCarthy : La trilogie des confins, Un enfant de Dieu, No country for old men et surtout le crépusculaire et sanglant Méridien de sang.

 

Parle-nous de ton recueil Ces femmes couleur sang ?

Le personnage féminin est au cœur de chaque nouvelle ainsi que les violences faites aux femmes. Violence sous toutes ses formes. Et puis leur vengeance, leur réactions féminines toutes aussi brutales, parfois, que celles des hommes.
Vous trouverez aussi dans ce recueil :
Une jeune femme qui se venge de son père et de ses abus par personne ayant autorité comme on dit,
Une jeune femme qui punit les hommes, via le Net et ses sites de rencontre,
Une mère vengeresse, et dans ce domaine il n’y a pas de date de péremption,
Une nouvelle polar historique avec La rose blanche et son icône, Sophie Scholl, celle qui face à la barbarie de la guerre aura cette phrase juste avant sa mort : « Le soleil continuera de briller. »
Une Bonnie Parker plus vraie que nature,
Et beaucoup d’autres, toutes ces femmes que la vie a blessées et qui enfin rendent les coups.

 

Propos recueillis par Céline

Photographie de Mark Drew 

 

Retrouver les livres de Bruno Baudart

Ces femmes couleur sang, Mondes Futuristes Editions (octobre 2020), ebook sur la Fnac

Pastiche série noire dans Illusion(s), Bancal Livre (novembre 2011), commande sur Bancal


Télécharger le PDF


Revue Bancal - Auteur

Commentaires


Les champs marqués d'un * sont obligatoires.