Les codes de la liberté

Marie Lissouck, franco-camerounaise, est née au coeur de la forêt tropicale, non loin d'Éséka. Elle livre dans son roman Mon coeur est ailleurs le récit des premières années de sa vie et dans cet extrait, ce qui l'a poussée à écrire.

Les codes de la liberté, de Marie Lissouck

Marie Lissouck, franco-camerounaise, est née au coeur de la forêt tropicale, non loin d’Éséka. Elle livre dans son roman Mon coeur est ailleurs le récit des premières années de sa vie et dans cet extrait, ce qui l’a poussée à écrire.

Mon coeur est ailleurs de Marie Lissouck

Mon coeur est ailleurs de Marie Lissouck

Depuis la condamnation de notre Père, nous n’étions plus soumises à l’isolement. Notre nouvelle maison se trouvait à trois cents mètres à peine d’une école qui retenait toute notre attention. Un jour, vêtues de petites tuniques rapiécées, Christine et moi, nous nous sommes mêlées aux enfants qui jouaient dans la cour. A la fin de la récréation, les élèves entraient dans leurs classes respectives. Nous avons suivi un des groupes.

La vie met parfois sur notre chemin des personnes au bon moment, sans que l’on sache pourquoi. C’est ainsi que Christine et moi, nous sommes arrivées dans la classe de maître Jean. Et pourtant, nous ne figurions sur aucune des listes, mais d’un simple regard, tout fut dit. Sans nous brusquer, ni nous prier de sortir, il nous présenta simplement aux écoliers dont la plupart connaissaient notre histoire. Certains d’entre eux nous regardaient comme si nous étions des créatures insolites. Maître Jean nous attribua deux places dans la classe comme si nous en avions toujours fait partie. Tout aussi naturellement, il nous donna deux planches en bois, taillées en forme d’ardoise et deux morceaux de craie pour que nous puissions gribouiller dessus. Ce fut notre première rentrée des classes, une vraie providence.

Je me souviens encore de ma première leçon. Le maître demanda à Pondy, un des élèves de la classe : « Pondy ! Lis-nous ce qui est écrit au tableau ».

Pondy se leva d’un trait et se mit à lire à haute voix : « Toto tire Nama et Nama tire Toto ». Nous apprîmes plus tard que cette célèbre phrase était tirée du Syllabaire de Mamadou et Bineta. La lecture de cette phrase m’amusa beaucoup bien sûr, mais j’étais surtout fascinée par l’écriture et son déchiffrage qui m’apparurent comme la révélation du monde. Les mots dessinés au tableau étaient les codes de la liberté, ma liberté et par ricochet, celle de Christine. Je compris ce jour-là que si l’on arrivait à lire et à écrire, on pouvait par ces moyens coder notre monde intérieur et décoder celui des autres. Bref coder et décoder simplement la vie et s’ouvrir aux autres et au monde. Ma sœur Christine venait d’avoir onze ans. J’en avais dix. Avec la détermination puisée de notre enfance volée, je me jurais alors, que quoiqu’il advienne, moi, Marie Lissouck, je réussirai à lire et à écrire pour me libérer et livrer au monde les codes de mon être.

@Marie Lissouck, 2013

Mon coeur est ailleurs, Editions Sépia, Format 13,5 x 21,5 cm, 280 pages, ISBN 978-2-84280-218-9

http://www.moncoeurestailleurs.fr

 


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Charlotte PALMA - Auteur

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