Expo // Les manuscrits de l’extrême

Jusqu'au 7 juillet, la BnF a consacré une grande exposition aux manuscrits écrits dans des contextes extrêmes d’enfermement, de péril, de détresse, de folie, ou de passion. 150 manuscrits sont dévoilés parmi lesquels des billets et des notes de personnalités et d’auteurs connus. Emouvante et poignante, l’aura de l’écriture règne ici en maîtresse !

Le mot « Extrême » nous vient du latin extremus, qui signifie « Le plus à l’extérieur ».

 

A l’extérieur du temps, de l’espace, de soi, à l’extérieur de tout, jusqu’à l’exposition : « Les manuscrits de l’extrême » à la BnF.

 

De l’écriture exposée sous des petits cercueils en verre. Sous la forme de lettres, d’enveloppes, de manuscrits, de griffonnages, une date sur un carnet, des gribouillis, tous, baignés dans un clair obscur propice au sommeil…
Ils font semblant de dormir…
Ils rêvent tout haut la rencontre.
Dans ce lieu divisé en quatre chapitres* / Prison / Passion / Péril / Possession…

 

On y sent l’ombre des mains au travail.

 

J’ai les mains qui transpirent.
Je sors mon stylo de mon sac à main comme si mon stylo… rentrait dans l’armée des stylos.
Moi, à sa suite.

 

Je suis impressionnée par l’aura de l’écriture qui règne en maîtresse. Au-delà de tous les mots ici-présents, Elle, l’écriture fait signe.

 

Pas besoin de lire tout de suite, la forme des mots fait sens. Tout autour de moi, sur les murs accrochés, des photos & des papiers organiques, métabolisés par le temps ; ça pulse.

 

Je n’ose pas encore m’approcher, je déambule, je guette l’appel…
Je deviens destinataire, je le sens…
Une chaise sous verre m’interpelle.
Je me rapproche.

 

Les mains n’arrêtent jamais.

 

Sous cette chaise du 84, avenue Foch, dans le 16e, quartier général de la Gestapo**. Cette chaise a soutenu des Résistants soumis à la torture. Inscrit sous son bois tendre : « En toute amitié à mes camarades féminins et masculins qui m’ont précédé et qui me suivront dans cette cellule. Qu’ils conservent leur foi. Que Dieu évite ce calvaire à ma bien-aimée. »
Depuis la chaise, je me lève de ma position debout, & j’y vais, je lis…

 

« Mon petit papa chéri, sommes dans un train pour l’Allemagne, toutes les deux bonne santé, bon moral… Ne t’inquiète pas…. C’est la fin, nous t’embrassons … » Lettre jetée par la fenêtre d’un train, avec une adresse : « ALIZON, av. Louis Barthou, Rennes. » Ramassée par une main libre qui a envoyé le message à : « petit papa chéri »…

 

Elles s’appelaient Simone & Marie, Alizon, engagées dans la Résistance, elles avaient 18 & 21 ans.

 

Mes mains sentent leurs sœurs au travail.

 

Je reste bouche-bée devant la « lettre-sort »***, écrite par Antonin Artaud, à Hitler. (Vendue 27 000 euros aux enchères, accordée au marteau, à la BnF).

Artaud a su comment se transmuer en papier de chair, tatoué sur la peau du temps.

Sa lettre-sort, porte les stigmates d’une brûlure de cigarette.

 

Dans cette brûlure, un trou noir qui me regarde.

 

La montée du fascisme, ça me regarde.

 

Combien de bouteilles à la mer, de cadavres en mer, même la mer va à la mer…

 

A l’heure du tout numérique, je me demande, est-ce que le clavier saura porter l’extrême en dehors de son temps, comme le stylo, serviteur de l’écriture ?

Ne sommes nous pas à un point de bascule, où l’homme, serviteur de son clavier, bientôt ne saura plus écrire autrement qu’en tapant ?

 

En tapant contre les murs qu’il construit…
« … aux États-Unis, 45 états ont décidé de rendre optionnel l’apprentissage de l’écriture cursive, en lettres attachées, dans les programmes scolaires… » peut-on lire dans le magazine La Recherche, n°488… ****

Je me prends par la main, je continue.

 

Sidérée par l’incongruité de la lettre de Victor Tardieu, adressée à son fils de 13 ans, Jean Tardieu, lettre parsemée de gros points, sensés nous faire entendre les coups de canons… Dans cette lettre, plus de points que de mots… Chaque point est un coup de canon !
Je comprends soudain la vocation de Jean Tardieu*****, fils.
Ecrire, comme pour secrètement conjurer les points finals reçus, un jour, de son père.
Datée du 5 juillet 1916.

 

Lisant, l’impression de serrer des milliers de mains & mon cœur se serre.
Comme un poing.
Un point.
Faire le point.

 

Que répondre à ces mots qui nous somment, aujourd’hui, de répondre, à aujourd’hui ?
A demain ?
A nos enfants ?
A nos morts ?

 

J’écoute le souffle haletant de l’écriture de Marie-Antoinette : « … mon dieu ayez pitié de moi ! / mes yeux n’ont plus de larmes / pour pleurer pour vous mes pauvres / enfants ; adieu, adieu ! »

 

J’entends l’indicible du poète Stéphane Mallarmé face à la mort de son fils, Anatole âgé de 8 ans.

 

Je perçois les clignements de paupière de Jean-Dominique Bauby, journaliste & auteur du « Scaphandre et du papillon », livre écrit à coups de clignements de paupières.
Soit 200 000 clignements.
Le vendredi 8 décembre 1995, la vie de cet homme bascule, un AVC le plonge dans un coma dont il se réveillera, affecté du syndrome de l’enfermement ******…

 

Je retourne à la chaise, je m’accroupis en face d’elle, et je regarde autour de moi.
Chaque être ici présent devient destinataire.
Rencontre manquée ?

 

& moi, qu’est ce que je réponds ?

 

Le gardien s’est endormi, bercé par le faux sommeil des manuscrits alentours.
Je réponds, comme le sommeil est l’envers de la veille, cette écriture est l’envers du monde, elle nous vient du sommeil des morts…

 

& ne sommes nous pas, les gardiens des rêves de nos morts, à notre insu ?

 

Le gardien se réveille.

Il se frotte les yeux.

 

« Monsieur, pourriez-vous me raconter votre rêve… »

 

valérY meYnadier
Juillet 2019

http://www.m-e-l.fr/,ec,1323

 

Manuscrits de l’extrême, du 9 avr. au 7 juil. 2019, Bibliothèque François-Mitterrand, Paris 13, https://www.bnf.fr/fr/agenda/manuscrits-de-lextreme

 

 

* Mis en espace par Nathalie Crinière
** La Gestapo est créée par Hermann Goering.
*** Lettre d’Antonin Artaud au «Chancelier du Reich, datée de septembre 1939 : « Je vous avais montré en 1932 au Café de l’Ider à Berlin, l’un des soirs où nous avons fait connaissance et peu avant que vous ne preniez le pouvoir, les barrages (que j’avais établi sur une carte)…
Je lève aujourd’hui Hitler, les barrages que j’avais mis !
Les parisiens ont besoin de gaz…
Bien entendu cher monsieur, ceci est à peine une invitation: c’est surtout
un avertissement. »

****Article de Marina Julienne dans le mensuel 488, juin 2014
*****Jean Tardieu, écrivain & poète français, il n’a cessé de se « demander
sans fin comment on peut écrire quelque chose qui ait un sens ».
******Titre du journal Libération « L’ultime clin d’œil de Bauby. Le journaliste paralysé est mort juste après la sortie de son livre » par Fabrice Tassel, le 11 mars 1997


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Revue Bancal - Auteur

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