Cinéma // Martin Eden

Le film "Martin Eden", adaptation fidèle du célèbre roman du Jack London, raconte l'ascension douloureuse d'un jeune homme pauvre avide de se hisser au niveau de n'importe quel individu de la classe bourgeoise. Un grand film de cinéma, pour un large public avec la superbe interprétation de Luca Marinelli.

Sur l’affiche du film dont l’esthétique rappelle les affiches peintes des années trente, Martin et deux femmes, les deux versants de sa vie. Martin, c’est Luca Marinelli, prix d’interprétation masculine à la dernière Mostra de Venise, qui incarne depuis l’espoir d’un renouveau durable du cinéma italien.

 

Pietro Marcello, le réalisateur de Bella e perduta (2015), un conte philosophique intimiste, réalise ici un drame, l’adaptation d’un chef d’œuvre de la littérature mondiale, Martin Eden, écrit par Jack London en 1909. A partir de ce roman d’apprentissage, aux valeurs universelles, Marcello nous donne un film épique, à la mesure de Naples où il est tourné, ville flamboyante démesurée comme Martin, le héros. 

 

Hormis la transposition judicieuse à Naples, l’adaptation du roman est finalement assez fidèle. C’est l’histoire d’un marin dont la destinée tourne, quand, sur le quai désert d’un port, il sauve d’une rixe, un jeune bourgeois en mauvaise posture. Invité à dîner dans la famille du garçon, Martin découvre un univers totalement inconnu de lui, la richesse, la beauté des lieux, les bonnes manières. Mais ce qui va faire basculer sa vie, c’est sa rencontre avec Elena, la sœur de son protégé dont il tombe instantanément amoureux. Elena est un pur produit de son milieu, fine, élégante, délicate, elle s’amuse de ce garçon incongru, rustique, que le hasard a mis sur son chemin. Aux antipodes de celui de Martin, l’univers d’Elena est la culture, l’érudition, l’art ; tout ce que l’ancien marin ignore et qu’il veut acquérir pour la séduire. Il va devoir opérer une totale métamorphose pour parvenir à ressembler aux personnes du milieu d’Elena, être comme elle, ainsi qu’il le lui dit : « Je veux manger comme vous, parler comme vous, penser comme vous ». 

 

Tenir cet objectif ambitieux, suppose du travail, de nombreux apprentissages, de la ténacité, pour qu’enfin il puisse parvenir à la culture qu’il ambitionne, l’outil de son émancipation. Le chemin sera long, mais le garçon est déterminé, courageux il prend goût à la littérature, à la philosophie, à l’écriture avec bientôt la volonté de devenir écrivain. Quand il annonce, avec émotion et sincérité, son projet à Elena, elle réagit avec un certain scepticisme, manifeste des réserves sur ses possibilités d’ y parvenir. C’est une première déconvenue qui sera suivie d’autres. Ainsi malgré ses efforts et son évolution, rien ne change dans la façon dont le regarde la famille de la jeune fille, ce milieu où il se sent toujours déplacé, où l’on exècre ses opinions philosophiques et politiques, d’autant inacceptables qu’il ambitionne d‘épouser Elena. Russ Brissenden, un vieil érudit rencontré au hasard de la nouvelle vie de Martin résume bien, avec une formule grinçante les difficultés de son jeune ami :« La princesse et le matelot ».

 

Progressivement, Martin prend du champ, il s’éloigne d’Elena qui le verrait plutôt choisir un métier plus conforme aux aspirations de sa classe sociale. Il vit modestement soutenu dans son projet par de bonnes personnes comme cette Maria qui, contre une modeste contribution, lui assure les conditions de vie qui lui permettent d’écrire. Les manuscrits s’empilent sur sa table, partent chez les éditeurs qui les ignorent. A peine envoyées, les grosses enveloppes lui reviennent avec la même mention « retour à l’expéditeur ».

 

Le découragement pourrait le gagner, mais il persiste ; un pas après l’autre, il trace son chemin. Un premier texte est publié, puis un autre, progressivement, c’est le début d’une reconnaissance pour l’écrivain Martin Eden. Mais le succès va générer chez Martin une autre blessure, la plus douloureuse, dont il ne se remettra jamais, celle du transfuge de classe qui va toute sa vie traîner la honte d’avoir abandonner les siens. Pietro Marcello, le réalisateur est là dans son élément ; ancien enseignant dans les prisons, membre d’un centre social autogéré, le héros du roman de Jack London lui a été familier d’emblée. Pour inscrire le film plus précisément dans le XXe siècle, et ses luttes sociales, il a fait appel à des images d’archives subtilement insérées dans le montage qui montrent le peuple de Naples en résonance avec les pensées de Martin.

 

On arrive à l’issue de l’histoire, un peu navrante quand Elena revient vers son ancien amoureux avec des sentiments inchangés. Ce dont Martin n’a cure et la renvoie. Plus dramatique est le désespoir de l’homme accompli qu’il est devenu, incapable de supporter sa trahison, qui le poussera au suicide. 

 

Un grand film de cinéma, pour un large public avec la superbe interprétation de Luca Marinelli. On peut aussi lire avec intérêt le roman de Jack London réédité pour l’occasion aux Editions Gallimard.

 

Frédérique

 

Martin Eden, drame franco-italien de Pietro Marcello, avec Luca Marinelli, Jessica Cressy, Carlo Cecchi (octobre 2019)

Martin Eden, roman de Jack London (1909)


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Revue Bancal - Auteur

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