Cinéma // « Jeanne » de Bruno Dumont

Un nouveau film de Bruno Dumont, c’est toujours intrigant. Où va nous entraîner cette fois l’improbable réalisateur qui en 25 ans de carrière, n’a cessé d’étonner, surprendre voire indigner ? Second volet de la vie de Jeanne d’Arc, après « Jeannette », l’enfance façon opéra rock qui en avait surpris plus d’un, « Jeanne » était attendu avec une particulière curiosité. De rock, point, mais un vrai moment de grâce, offert par une actrice de 11-12 ans, Lise Leplat Prudhomme, filmée par un réalisateur au sommet de son art.

Dès ses débuts, le cinéma s’est emparé de l’histoire de la Pucelle d’Orléans. Après les Frères Lumière, Méliès, nombreux sont les réalisateurs français et étrangers qui nous ont livré leur Jeanne d’Arc ; parmi les plus connus, Karl Dreyer, Otto Preminger, Roberto Rossellini, Robert Bresson, Victor Flemming, Luc Besson, Jacques Rivette. Fidèles le plus souvent à ce que l’on connait de la courte vie de la bergère de Donrémy qui laisse son village à 17 anscomme ses voix lui demandent, et meurt à 19 sur un bûcher à Rouen. Tous se tiennent à une certaine image de Jeanne supposée proche de la réalité historique, interprétée tour à tour par Ingrid Bergman, Renée Falconetti, Sandrine Bonnaire, Florence Delay, Jean Seberg, etc.

 

Audace et bonheur du film de Bruno Dumont, sa Jeanne est une enfant de 10 ans et ce parti donne toute sa force au film. Fillette de 10 ans, Jeanne est comme on l’est à cet âge, sans concession. Elle est pure, tenace, entière, fidèle à ses engagements : c’est une enfant de 10 ans. Et de ce fait, l’image renouvelée de Jeanne proposée par Bruno Dumont est saisissante de justesse. La fillette intransigeante incarne magnifiquement la jeune bergère qui sacrifie sa vie pour répondre aux voix divines.

 

Passée l’ouverture du film où les chevaux de la garde républicaine, exécute une sorte de balai autour de Jeanne en armure, comme pour l’adouber, la consacrer chef de guerre, les hostilités peuvent commencer. Mais là encore, Dumont se distingue en refusant la reconstitution d’un XVe siècle de carton pâte. Seul décor de la première partie du film, les dunes de la Côte d’Opale entre Calais et Boulogne-sur-Mer. Et à l’heure du procès, l’immense cathédrale d’Amiens deviendra le tribunal où Jeanne, minuscule sous la nef de 43 mètres de haut, réaffirmera, avec témérité, la nécessité d’accomplir son destin.

 

Le visage tendu souvent levé vers le ciel où passent les nuages, elle ne connaît que son devoir, et face à tous, elle pose un regard frontal sur les butors qui réclament du sang et la rejettent dès lors que le victoire n’est plus là, sur les notables arrogants, et même sur le roi Charles VII qui, son trône assuré croit-il, veut la renvoyer à ses moutons. Face à ces adultes couards et perfides, la petite Jeanne va perdre, elle ne peut compter que sur elle-même : « Je m’en vais commencer à batailler moi seule. »

 

On connaît la suite : livrée aux Anglais, Jeanne sera jugée dans un procès pour lequel, à peine engagé, les jeux sont faits ; le chanteur Christophe, autre surprise du film, chroniqueur à la voix éthérée annonce la fin de l’histoire : « Elle ira dans l’enfer avec les mortes nées avec les condamnées ». Pourtant jusqu’au bout, elle se défend Jeanne, se coltine sans relâche avec ses juges : « Quand vous me feriez couper la tête et détruire tous les membres de mon corps, je ne renoncerais jamais à un mot de tout ce que j’ai dit. »

 

Au loin, on entre-aperçoit le bûcher, Jeanne d’arc a accompli son destin.

 

Comme toujours dans les films de Bruno Dumont, les acteurs sont des amateurs qui donnent le meilleur sous sa direction. Fruit de casting dans les villages du Nord, pour les sans-grade ; ils sont issus du meilleur monde pour interpréter les clercs, notables, juges, évêques qui avec un talent confondant distillent les arguments qui fatalement conduisent à la condamnation avec la fausseté, la haine, l’aigreur qui habitaient ces mauvaises personnes. Mention particulière à Fabrice Luchini, seul professionnel du film, campant le roi Charles VII, avec les postures qu’il sait.

 

Quelqu’un n’a pas encore été mentionné, c’est Charles Péguy et sa belle langue aux alexandrins « modernes ». Il habite le film, on entend ses mots dans la bouche de Jeanne, dans les mélodies douces amères de Christophe. Il y a entre Charles Péguy et sa Jeanne d’Arc, Bruno Dumont et Lise Leplat Prudhomme, un lien fort qui porte le film.

 

Frédérique

 

Jeanne, drame historique de Bruno Dumont, avec Lise Leplat Prudhomme, Fabrice Luchini, Annick Lavieville (11 septembre 2019)

 


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Revue Bancal - Auteur

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