Ces films qui nous parlent poésie

Les sorties cinéma de ces dernières semaines ont été marquées par d'excellents films sur le thème de la poésie. Réflexion sur la place des poètes dans nos sociétés, récit poétique ou biopic, ces films, qui partagent une mise en scène et une forme narrative décalées, expriment avec grâce la beauté et la délicatesse du monde.

Les sorties cinéma de ces dernières semaines ont été marquées par d’excellents films sur le thème de la poésie. Réflexion sur la place des poètes dans nos sociétés, récit poétique ou biopic, ces films, qui partagent une mise en scène et une forme narrative décalées, expriment avec grâce la beauté et la délicatesse du monde.

Neruda de Pablo Larrain évoque une partie de la vie du sénateur et poète chilien communiste Pablo Neruda, qui après s’être violemment opposé au Président Videla, est contraint de fuir et de se cacher pour éviter la prison. Le film raconte la traque de cet artiste fantasque, égocentrique et jouisseur, par l’inspecteur Peluchonneau, petit fonctionnaire raté qui rêve de gloire. Ce biopic n’en est pas vraiment un : « Neruda est un film non réaliste qui assume son regard post-moderne sur une lutte moderniste ». Porté par la voix envoûtante du policier en voix-off et par les mots du poète, le récit s’enroule autour de la personnalité de Neruda, à mi-chemin entre le prophète et le héros politique, et de la fascination qu’il exerçait sur ses contemporains. La poésie comme arme politique, comme vecteur de liberté, comme puissance créatrice, est la matière dans laquelle le film puise sa forme onirique et parfois magique, offrant aux spectateurs des scènes éblouissantes, perdus avec Neruda au milieu de paysages sauvages ou cachés dans un bordel vibrant de chaleur et de fraternité.

Le héros de Paterson de Jim Jarmusch est aussi poète, mais, contrairement à Neruda, c’est un homme inconnu, banal et plutôt terne comme l’est son quotidien de chauffeur de bus qui nous est donné à voir sous forme de semainier. Le poète Paterson porte le nom de sa ville – qui a connu de célèbres artistes -, vit avec sa copine Laura originale et extravagante, écrit ses poèmes sur un carnet secret pendant ses pauses déjeuner et boit tous les soirs une bière dans le même bar en allant promener son chien. Les poèmes de Paterson – des vers libres, au lyrisme discret – évoquent les détails prosaïques de sa vie : les objets, les paysages et les gens qui l’entourent. Le poète s’inspire certainement de ce qu’il voit à travers la vitre de son bus et des bribes de conversation qu’il intercepte tandis qu’il conduit. Jarmusch a choisi de construire son film comme un poème : la régularité de la vie du couple évoque la musique et le rythme d’un poème, la répétition des événements et le thème du double (Paterson croise des jumeaux à chaque coin de rue, remet en place tous les soirs sa boîte aux lettres inclinée) font penser aux rimes, les rencontres improbables et surréalistes (avec une petite fille poète, un rappeur cherchant l’inspiration dans une laverie) rappellent la créativité et l’imaginaire du poète. En dépit de la vie paisible et sereine qui nous est montrée, se devinent des doutes et des questionnements existentiels : la peur de l’engagement, l’angoisse de la paternité, la dualité de l’être humain, la complémentarité ou l’opposition au sein du couple (illustrées par la passion de Laura pour les motifs noir et blanc), la nécessité de se confronter à soi-même. Au final, Paterson fait le choix d’une existence de tranquillité et de contemplation, évite soigneusement les conflits et les accidents, quitte à ne pas se réaliser ou réaliser ses rêves  –  et laisse son chien le guider et décider à sa place.

Autre époque, autre pays, autre ambiance, le film chilien Poesía Sin Fin d’Alejandro Jodorowsky est un petit bijou de fantastique et d’extravagance poétique. Santiago, pendant les années 1940 et 50, « Alejandrito » Jodorowsky, âgé d’une vingtaine d’années, veut être poète malgré sa famille qui s’y oppose. Immergé au cœur de la bohème artistique et intellectuelle de l’époque,  il vit aux côtés de jeunes poètes prometteurs et anonymes qui deviendront les maîtres de la littérature moderne de l’Amérique Latine. Ces rencontres lui donnent l’autorisation de devenir qui il est vraiment, de se réconcilier avec sa nature profonde et de percevoir le monde de manière sensible en se laissant porter par son imaginaire. Pour Alejandrito, la poésie est surtout une question de survie, un moyen de s’extraire de son environnement, en particulier de se libérer de son père qui veut qu’il soit médecin.

Dans L’institutrice de Nadav Lapid, le poète est un enfant de 5 ans. Une institutrice découvre que l’un de ses élèves possède un incroyable don pour la poésie. Lors de crises incontrôlables au cours desquelles l’inspiration lui vient de façon soudaine et inattendue, l’enfant déclame des poèmes de grande valeur qui suscitent l’intérêt de l’institutrice, elle-même passionnée de poésie. Elle décide alors de prendre soin de son élève pour cultiver son talent et surtout pour le protéger d’un monde qui, selon elle, l’écraserait parce qu’il hait les poètes. Le film de l’israélien Nadav Lapid porte un regard très pessimiste sur nos sociétés vulgaires et violentes qui accordent peu de place à la poésie et aux poètes. Il dénonce en particulier un monde ultra-violent dominé par la trivialité, l’abrutissement des masses,  le divertissement facile et bas de gamme, qui méprise les artistes, les rêveurs, les mous, les loosers… C’est plus précisément la société israélienne qui est visée, sa culture du combat qui transforme de jeunes adultes en soldats pendant plusieurs longues années, son patriotisme exacerbé qui oblige des bambins de maternelle à réciter des odes aux héros valeureux d’Israël. Malgré ce constat amer, le film est un pur joyau de poésie et de sensibilité.

Il y a quelques années, nous éblouissaient par leur luminosité et leur splendeur les films Poetry de Lee Chang-Dong et Bright star de Jane Campion, respectivement sur une femme âgée coréenne qui découvre la poésie au cours d’un atelier d’écriture et sur le célèbre poète romantique anglais John Keats. Définitivement, la poésie sur grand écran fait du bien !

Céline

Neruda, biopic chilien de Pablo Larrain (janvier 2017)

Paterson, drame américain de Jim Jarmusch (novembre 2016)

Poesía Sin Fin, biopic chilien d’Alejandro Jodorowsky (octobre 2016)

L’institutrice, drame franco-israélien de Nadav Lapid (septembre 2014)

Poetry, drame sud-coréen de Lee Chang-Dong (août 2010)

Bright star, drame australien de Jane Campion (janvier 2010)


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Charlotte PALMA - Auteur

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