Cinéma // Visibiliser les essentielles

Les métiers des premiers et premières de corvée ont été unanimement déclarés essentiels lors de la crise sanitaire qui les a placés temporairement sur le devant de la scène. Et pourtant, 12 ans après la publication du livre de la journaliste Florence Aubenas "Le Quai de Ouistreham" qui relate le quotidien de femmes de ménage, le constat reste le même concernant ces professions : précarité, temps partiels, salaires dérisoires, manque de reconnaissance, dévalorisation et invisibilisation sociales. Les artistes à travers le cinéma, la littérature ou encore la chanson tentent de rendre visibles tous ceux et celles qui triment à l'abri des regards.

Le film d’Emmanuel Carrère Ouistreham – entre documentaire et fiction – est inspiré du récit autobiographique de Florence Aubenas – travail d’enquête en immersion de six mois auprès de travailleuses qui galèrent de petit boulot en petit boulot, en particulier des femmes de ménage. La journaliste qui a partagé de manière anonyme le quotidien de femmes de ménage constate la pénibilité des tâches, les bas salaires, les horaires de nuit, les cadences infernales, les temps partiels qui ne permettent pas d’en vivre, et puis la peur de perdre son emploi qui oblige à supporter les humiliations et le mépris.

 

« Tu verras, tu deviens invisible quand tu es femme de ménage. » Cette sensation de transparence est bien retranscrite dans le film, en particulier dans cette scène où les agents d’entretiens doivent courir pour s’éclipser rapidement et éviter d’être vu.es. par les passagers commençant à embarquer sur le ferry qu’ils et elles viennent de nettoyer de nuit.

 

Malgré son sujet difficile, Ouistreham est un film très lumineux, dressant de beaux portraits de femmes soudées dans leur vie de galères, où règnent la solidarité, la chaleur et la combativité indispensables pour endurer un tel quotidien. A part Juliette Binoche (la journaliste en immersion), tous les rôles ont été confiés à des actrices et des acteurs non professionnelles, pour la plupart travailleurs précaires dans la vie.

 

 

Fin 2021, cette même réalité sociale est mise en scène dans le documentaire du journaliste et député François Ruffin. Debout les femmes ! a pour objet principal la proposition de loi « sur les métiers du lien » qu’il a déposée à l’Assemblée nationale avec Bruno Bonnell (député de la République en marche). Cette proposition visait à relever les revenus des auxiliaires de vie sociale, des femmes de ménage et des accompagnants d’élèves en situation de handicap.

 

Le documentaire pointe du doigt les temps partiels, les journées de travail fragmentées avec une amplitude horaire très grande – tôt le matin, tard le soir -, avec des coupures dans la journée et des déplacements non rémunérés. Il dénonce les conditions de travail physiquement éprouvantes pour un salaire de misère, insuffisant pour vivre correctement.

 

Là encore, on est bluffé par l’absence de misérabilisme et par la dignité dont font preuve ces femmes pourtant peu valorisées et peu reconnues par la société. Cette force, elles la tirent de l’amour et de la passion qu’elles nourrissent pour leur métier et pour les personnes dont elles prennent soin.

 

 

 

 

Même sujet, même propos. Dans sa chanson Santé, sortie également en 2021, Stromae rend hommage à ceux et celles qui travaillent dur en chantant le mépris et l’indifférence auxquels ils et elles sont confronté.es au quotidien.

 

« À ceux qui n’en ont pas
À ceux qui n’en ont pas
Rosa, rosa
Quand on fout le bordel, tu nettoies
Et toi, Albert
Quand on trinque, tu ramasses les verre
Céline, bataire
Toi, tu t’prends des vestes au vestiaire
Arlette, arrête
Toi la fête tu la passes aux toilettes
Et si on célébrait ceux qui ne célèbrent pas
Pour une fois, j’aimerais lever mon verre à ceux qui n’en ont pas
À ceux qui n’en ont pas. »

 

 

Sur tous ces thèmes, on pourra ajouter la palme d’or du festival de Cannes 2019 Parasite du coréen Bong Joon-ho, ou encore la mini-série de Netflix Maid.

 

Mais les choses évoluent. Quelques entreprises ont déjà fait le choix de faire travailler les agents d’entretien sans coupure et sur les horaires de bureau pour lutter contre cette invisibilisation qui nuit à la reconnaissance de ces métiers essentiels. Une prise de conscience dont s’emparent les politiques, Ruffin en premier lieu, et plus récemment la ministre déléguée à l’industrie qui vient justement de faire une déclaration en ce sens.

 

 

 

Céline

 

Le Quai de Ouistreham, enquête de Florence Aubenas, Editions L’Olivier (2010)

Ouistreham, film dramatique d’Emmanuel Carrère (2021)

Santé, chanson de Stromae (2021)

Parasite, film coréen Bong Joon-ho (2019)

Maid, mini-série américaine de Molly Smith Metzler (2à21)


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Revue Bancal - Auteur

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