Artistes confinés #15 // Gunnel Wåhlstrand, peintre

Nous avons interrogé plusieurs artistes pour comprendre ce que le confinement changeait à la pratique de leur art. Comment l’obligation de rester enfermé.e impacte-elle leur créativité ? Quelles sont les conséquences pratiques et matérielles du confinement sur leur organisation, leur situation ? Bref, comment continuer à être un ou une artiste en temps de confinement !

L’artiste Gunnel Wåhlstrand a commencé sa formation à Göteborg puis a intégré Kungliga Konsthögskolan, l’école royale des beaux-arts de Stockholm. La majorité des ses œuvres sont exposées à Magasin III, le Musée d’art contemporain à Stockholm.

Gunnel Wåhlstrand crée ses œuvres monumentales à partir de photographies de famille mais aussi de clichés qu’elle prend elle-même ; des paysages, des portraits, des intérieurs paisibles. L’artiste peint à l’encre de Chine par couches successives selon un processus de réalisation minutieux, lent et physiquement exigeant. Gunnel Wåhlstrand travaille à quatre pattes, s’immergeant littéralement dans l’image. Ce travail permet à l’artiste d’aborder physiquement et psychologiquement son histoire personnelle.

(Version anglaise à la suite de l’interview)

 

Dans quels états émotionnels t’a plongée le confinement ?

Au début, j’étais terrifiée. Dans mon entourage, quelques amis avaient prédit le scénario de la pandémie dès les premières annonces de décès à Wuhan en décembre. Ainsi, au moment où la maladie est apparue à Stockholm, nous avions déjà acheté un véhicule pour fuir, une grande camionnette que nous avons remplie de peintures, de matériels et de provisions, et nous sommes allés
rejoindre la côte ouest de la Suède, sur une île où nous avons notre propre petite maison sur un terrain familial. J’ai emprunté une des autres cabanes appartenant à mes cousins, et je l’ai utilisée comme atelier pendant deux mois.

 

Ces émotions sont-elles favorables à ta créativité ou au contraire t’inhibent-elles ?

La peur a laissé place à un sentiment de sérénité – chaque jour était exactement le même que le précédent : travailler, s’occuper des enfants, travailler à nouveau, boire un verre de vin et donner un coup d’œil rapide sur les nouvelles. Ce fut incroyable d’être si proche de la nature pendant aussi longtemps, de voir le printemps évoluer, je n’aurais pas voulu me passer de cela.

Il m’est apparu très clairement que la quarantaine pouvait aider à mieux se concentrer, mais dès que nous sommes retournés dans la ville, j’étais à nouveau submergée par la peur ; les nouvelles étaient constamment mises à jour, on s’imaginait des symptômes, il fallait se méfier de tout le monde. Pour mon exposition à Paris en septembre à la Galerie Andréhn-Schiptjenko, je dois terminer mes peintures d’ici le mois d’août. Il me faut mettre de côté ma peur de tomber gravement malade, moi ou mes proches, car je n’ai pas de temps pour le moindre soupçon de maladie.

 

L’obligation de rester chez toi te rend-elle plus prolifique ? Au contraire, l’enfermement et l’isolement t’empêchent-ils de pratiquer ton art ?
La Suède n’a jamais appliqué des restrictions aussi strictes que dans les autres pays et n’a fait qu’encourager les citoyens à s’éloigner et à s’isoler.

Lorsque nous sommes rentrés à Stockholm, nous avions l’impression que tout le monde autour de nous avait déjà eu la maladie. Dans notre atelier, tout est revenu à la normale, alors j’ai pu continuer à travailler tout au long de la période.

 

Quelles solutions, quelles nouvelles habitudes as-tu déjà mises en place dans ton activité artistique ?

Lorsque nous vivions sur l’île, je mettais mon réveil très tôt et je travaillais avant le réveil des autres. Je n’en savais rien, mais ce moment de la journée s’avère idéal pour mon travail artistique. Il m’est alors paru évident que c’était la meilleure façon pour moi de peindre, mon atelier près de la maison, pouvoir travailler quand je veux, même quand je me sens un peu malade.

Mon évasion préférée en ce moment, pendant les pauses, est de dessiner des croquis de mes maisons de rêve, en imaginant différents terrains et lieux où elles pourraient être construites. J’essaie de repousser toutes les pensées intrusives en lien avec la crise mondiale et de continuer à espérer un avenir meilleur, tout en sachant que dans cette période incertaine, tout le monde aura probablement de faibles attentes vis-à-vis de la situation économique, culturelle ou politique.

 

Crains-tu pour ta situation financière et plus généralement pour ton activité artistique après le confinement ?

En ce moment, je suis surtout inquiète pour mes amis avec qui je partage l’atelier. Nous pourrions être obligés de déménager parce que certains d’entre eux n’ont pas les moyens de payer le loyer. Nous dépendons tous les uns des autres.

 

Propos recueillis par Céline

Avec l’aimable collaboration de Yves Mirande, @yvesmirande

 

Pour suivre le travail de Gunnel Wåhlstrand :

https://www.gunnelwahlstrand.com/

Exposition du 12 septembre au 31 octobre à la galerie Andréhn-Schiptjenko

10, rue Sainte-Anastase, 75003 Paris, France

 

©Gunnel Wåhlstrand, Den sista ön / The Last Island, 2012

 

©Gunnel Wåhlstrand, The Meadow, 2009

 

©Gunnel Wåhlstrand, Mother Blue, 2008-2009

 

©Gunnel Wåhlstrand, I stugan / In the Cottage, 2012-2013

 

 

In what emotional states does confinement put you?

Initially I was terrified. In our small studio collective we have a couple of friends who predicted the whole pandemic scenario even as early as when the first reports of deaths in Wuhan emerged in December. So by the time the disease reached Stockholm we had already bought a sort of getaway car, a large van that we stuffed with unfinished paintings, instruments and food, and drove to
the west coast of Sweden. Our family has a place in the countryside, on an island where we have a small house of our own.

 

Are these emotions conducive to your creativity or do they inhibit you?

I borrowed one of the other cabins belonging to my cousins, and used that as my studio for two months. The fear was replaced by a sense of serenity and every day looked exactly the same as the last – work, trying to entertain our child, work again, a glass of wine and a quick look at the news. It was amazing to be close to nature for so long, to watch spring evolve, I wouldn’t have wanted to be without that.
It became very clear how quarantine can sharpen ones focus, but as soon as we returned to the city I was overcome by fear again; the constant news updates, imagining symptoms, being suspicious of everyone. As I have a show booked for Paris in September (galerie Andréhn-Schiptjenko) I have to finish my paintings by August. Never mind the fear of me or my loved ones becoming seriously ill, I don’t even have time for the slightest touch of the illness.

 

Does the obligation to stay home make you more prolific? On the contrary, do confinement and isolation prevent you from practicing your art?

As is widely known, Sweden never enforced the kind of restrictions other countries did, only encouraged citizens regarding distancing and isolation.
When we got back to Stockholm it seemed like everyone around us already had had the disease. In our studio collective everything went back to normal, so I have kept on working through the entire experience.

 

What solutions, what new habits have you already established in your artistic activity?

When we were living on the island I set my alarm really early, and worked before the others were awake. I did not know this about myself, but those hours are the very best for me to paint, it became apparent that that´s the way I Iike it, the studio close to to the house, being able to work whenever I want even if I´m feeling a bit ill.

My favourite escapism at the moment, during breaks, is to draw sketches of my dream house, fantasizing about different lots and places where it could be built. I try to push away all the intrusive thoughts about world crisis and that everyone everywhere should keep their expectations low.

 

Do you fear for your financial situation and more generally for your artistic activity after confinement?
Right now I´m mostly worried about my friends whom I share studio with, that we may be forced to move out because some of them can´t afford to pay the
rent. We all depend on each other.


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Revue Bancal - Auteur

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