Artistes confinés #8 // Léonard Bourgois Beaulieu, photographe

Nous avons interrogé plusieurs artistes pour comprendre ce que le confinement changeait à la pratique de leur art. Comment l’obligation de rester enfermé.e impacte-elle leur créativité ? Quelles sont les conséquences pratiques et matérielles du confinement sur leur organisation, leur situation ? Bref, comment continuer à être un ou une artiste en temps de confinement !

Léonard Bourgois Beaulieu commence à prendre des photos en 2008 après avoir été réalisateur et comédien. A la suite de rencontres et de voyages, il développe sa propre technique du Polaroïd à partir de procédés chimiques qui laissent une large place à l’imprévu. Sa nouvelle exposition « Se nommer soi-même » à la galerie Laure Roynette à Paris a été interrompue par le confinement. Sur le thème de l’identité et du genre, sa série de portraits révèle des corps et des visages appartenant à des modèles ayant fait le choix de ne pas faire corps avec le monde hétéronormé et de le transcender.

 

Dans quels états émotionnels te plonge le confinement ?

Il se trouve qu’au moment où le confinement était déclaré, ma nouvelle exposition chez ma galeriste Laure Roynette venait de commencer (le jeudi soir précédent).

Une exposition représente plus d’un an de travail, entre la rencontre avec les personnes que je photographie et à qui je présente mon travail, les prises de photographies, les développements qui me prennent des mois, puis le choix pour l’exposition, le calendrier et enfin l’accrochage. Du coup, ce fut un coup dur, qui devint encore plus douloureux avec le temps car il m’a fallu plusieurs jours pour réaliser que l’exposition n’existait plus.

Étant sur des murs, cette exposition se vit de façon directe ; je travaille la photographie de façon plastique, il y a de nombreux détails dans les textures que je crée car la matière que j’obtiens est vivante, dû à la présence de micro-organismes sur les négatifs. Le rapport au réel et son environnement sont très importants pour ce travail. J’ai trouvé intéressantes et motivantes les expositions qui ont été montrées de façon virtuelle par des musées et des galeries depuis le confinement, mais mon exposition qui venait de s’ouvrir s’arrêtait net, avant qu’elle puisse être réellement visitée.

 

Lors du vernissage, nous avons eu l’agréable surprise de voir beaucoup de monde, nous pensions que les gens allaient rester chez eux pour attendre l’allocution. Mais nous étions nombreux et personne ne semblait imaginer que nous allions être forcés à rester chez nous avec bon nombre d’inquiétudes. Le contrecoup fut brutal. Je lisais jour après jour le nombre de morts, l’élargissement de la menace, j’oubliais l’exposition…

 

Je vis et travaille à Paris dans mon appartement mais je retape un atelier situé hors de Paris. J’y suis parti au moment du confinement et ai dû laisser derrière moi mon matériel photographique.

 

Ces émotions sont-elles favorables à ta créativité ou au contraire t’inhibent-elles ?

Avec le temps, j’ai réalisé que l’interruption de l’exposition m’empêchait d’une certaine manière de passer à une autre création visuelle. Je l’ai vécue comme un avortement artistique. Toute émotion est favorable à la création, dans ce cas-là néanmoins, j’ai laissé la photographie à Paris.

 

L’obligation de rester chez toi te rend-elle plus prolifique ? Au contraire, l’enfermement et l’isolement t’empêchent-ils de pratiquer ton art ? 

Depuis que je crée, je m’enferme, on oublie le temps qui passe, obnubilé par l’objet qui va naître de nos mains, de nos appareils, des personnes que je prends en photo. On emploie beaucoup de temps à douter, réfléchir, se laisser embrasser par une idée, une révélation. Même enfant je m’occupais seul, la solitude est un mal contemporain alors qu’elle est pour moi familière et nécessaire pour créer. En dehors des terribles nouvelles humaines et sociales évidemment, le confinement me semble très proche de mon quotidien, mais mon travail traitant en grande partie des identités, les êtres humains me manquent et cette absence me tourne vers autre chose.

 

Quelles solutions, quelles nouvelles habitudes as-tu déjà mises en place dans ton activité artistique ?

J’avais commencé l’année dernière à écrire une nouvelle sur le mouvement et l’immobilisme, c’est fou que le confinement ait lieu maintenant en induisant l’arrêt du mouvement ! Il me permet d’ailleurs de m’y remettre sans m’arrêter pour tel ou tel projet photographique. J’aime beaucoup écrire et j’y prends un grand plaisir. J’utilise le confinement comme un temps donné à autre chose (j’y suis un peu forcé).

 

Le contexte sanitaire et la situation de confinement t’inspirent-ils, influencent-ils déjà ta production artistique ?
Ressens-tu le besoin ou l’envie de t’exprimer à travers ton art sur l’épidémie et la situation ?

Justement, j’ai abordé cette question sur Instagram il y a deux ou trois jours. Plusieurs de mes amis artistes ont continué de créer comme avant, d’autres plus et certains traitent du confinement et de la crise sanitaire. Je n’en ferai rien. Déjà, je ne ressens pas la pression que certains ressentent comme une injonction à rendre une image de leur temps, et je sens bien qu’il peut y avoir ce sentiment d’être attendu au tournant. J’ai vu des personnes montrer visuellement qu’il se passait quelque chose dans le monde, comme si l’artiste devait rendre un travail spontané et simultané du drame qui se produit. Ça m’a semblé fragile.

Barthes a écrit « Le contemporain est l’inactuel » et Nietzche « Celui qui appartient véritablement à son temps, le vrai contemporain, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n’adhère à ses prétentions, et se définit, en ce sens, comme inactuel »
J’aime beaucoup les écrits du philosophe Giorgio Agamben lorsqu’il aborde cette question de la contemporanéité, je n’ai jamais ressenti l’envie de traiter de sujets de société, je n’ai donc pas cette attente-là en ce moment. Je n’ai plus envie d’exprimer la façon dont j’ai ressenti la pause de l’exposition par exemple, de comment les êtres humains se sentent en ce moment, de nos réactions, de notre nature.

 

Crains-tu pour ta situation financière et plus généralement pour ton activité artistique après le confinement ?

Une exposition coûte très cher et c’est un pari sur l’avenir. La production tombait mal puisqu’elle représente évidemment un coût important, une somme qui aurait été utile pour prévoir les mois à venir en plus du matériel photographique argentique dont j’ai besoin qui est rare et onéreux. Il faut absolument relancer l’exposition après le confinement avec on l’espère beaucoup de visites !

 

Propos recueillis par Céline

Avec l’aimable collaboration d’Yves Mirande, @yvesmirande

 

Pour suivre le travail de Léonard Bourgois Beaulieu

http://www.leonardbb.com/

Instagram : @leonardbeaubourg

 

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@Léonard Bourgois-Beaulieu, 2019, formats (34x40cm 3/3 + 2ea, 65x80cm 1/3 + 2ea, 85x100cm 1/3 + 2ea), technique mixte d’après négatif de polaroid développé par l’artiste.

 

 

Damien
@Léonard Bourgois-Beaulieu, 2019, formats (34x40cm 1/3 + 2ea, 65x80cm 1/3 + 2ea, 85x100cm 1/3 + 2ea), technique mixte d’après négatif de polaroid développé par l’artiste.

 

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@Léonard Bourgois Beaulieu, 2019, formats (34x40cm 1/3 + 2ea, 65x80cm 1/3 + 2ea, 85x100cm 1/3 + 2ea), technique mixte d’après négatif de polaroid développé par l’artiste.

 

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@Léonard Bourgois Beaulieu, 2019, formats (34x40cm 1/3 + 2ea, 65x80cm 1/3 + 2ea, 85x100cm 1/3 + 2ea), technique mixte d’après négatif de polaroid développé par l’artiste.


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Revue Bancal - Auteur

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