Artistes confinés #6 // Fabrice Schurmans, écrivain

Nous avons interrogé plusieurs artistes pour comprendre ce que le confinement changeait à la pratique de leur art. Comment l’obligation de rester enfermé.e impacte-elle leur créativité ? Quelles sont les conséquences pratiques et matérielles du confinement sur leur organisation, leur situation ? Bref, comment continuer à être un ou une artiste en temps de confinement !

Fabrice Schurmans, originaire de Liège, est chercheur au Centre d’Études Sociales de l’Université de Coimbra et se consacre aujourd’hui exclusivement à l’écriture. Ses recherches portaient sur les littératures francophones contemporaines, les théories postcoloniales et le théâtre. Il a traduit des dramaturges portugais du XXe siècle, a publié deux livres, des articles ainsi que des nouvelles dans les revues Balises, Bloganozart, Brèves, Harfang, Legs et Littérature, L’encrier renversé, mot dit, MuseMedusa, Nouvelle Donne, Le récit page et Rue Saint Ambroise. Il a également participé aux recueils collectifs suivants : Le train (Zone Critique & Le Soupirail, 2018), Spectre et Sortilège (Grimoire du Faune, 2018 et 2019). Il est l’auteur du roman policier Dissection d’un viol (Paris, Librinova, 2018).

 

Dans quels états émotionnels te plonge le confinement obligatoire ?
Au départ, un étonnement face à la rapidité du passage d’un état à l’autre. Au Portugal, pas de confinement progressif. Tout s’est joué en quelques heures. On s’embrasse, se serre la main, on conduit ses enfants à l’école. 24 heures plus tard, on se méfie de l’autre, on se touche du bout du pied ou du coude, on se calfeutre en famille. Certains visages se ferment, d’autres se couvrent.

 

Ces émotions sont-elles favorables à ta créativité ou au contraire t’inhibent-elles ?
Pas d’inhibition, juste la poursuite d’un projet à long terme.

 

L’obligation de rester chez toi te rend-elle plus prolifique ? Au contraire, l’enfermement et l’isolement t’empêchent-ils de pratiquer ton art ? 
Depuis janvier 2018, je me consacre à l’écriture (nouvelles, novellas, romans, articles), ce qui suppose un retrait, avec peu de sorties. De ce point de vue, le confinement n’a pas altéré un quotidien rythmé par l’écriture, la relecture, la prise de notes.

 

Quelles solutions, quelles nouvelles habitudes as-tu déjà mises en place dans ton activité artistique ?
Le seul changement notable réside dans l’écriture des Fragments de crise entreprise depuis la mi-mars et publiés sur le site des éditions du Chien à deux queues. Il s’agit de textes courts où j’observe mon environnement immédiat (je vis dans un quadrilatère de tours à Coimbra) ainsi que l’actualité via la presse écrite et la radio. Pas de télévision.

 

Fragments de Coimbra, extrait, 28 mars :

« La guerre permet d’asseoir sa différence par rapport au barbare, de définir un Nous contre un Eux. La guerre est une question de frontières, de cultures, l’une se définissant comme supérieure à l’autre. Rien de cela avec le virus. Público, le journal de référence au Portugal, le décrit de la sorte dans son édition du 24 mars : « Guère plus qu’un paquet de matériel génétique enveloppé dans une coquille de protéine, avec un millième de la largeur d’un cil, il mène une existence similaire à celle d’un zombie, à tel point qu’il est à peine considéré comme un organisme vivant. » Le SRAS-CoV2 n’est donc pas plus ennemi qu’il n’est sournois. Il ne possède aucune conscience des dommages qu’il provoque. Frontières, cultures, résistance, hymnes nationaux, patries ne sont rien pour lui. La bestiole affecte nos vieux, nos pauvres et nos clochards, qu’ils soient espagnols, français, italiens, ravage les camps de réfugiés. »

 

Le contexte sanitaire et la situation de confinement t’inspirent-ils, influencent-ils déjà ta production artistique ?
Si les crises sanitaire et économique n’altèrent en rien mon rapport à l’écriture, elles nourrissent mon travail à court terme. J’imagine que l’expérience inspirera des nouvelles, des personnages, de nouvelles métaphores, etc. Ma révolte face aux injustices sociales pré-pandémie trouve à s’exprimer dans mes textes. Je ne vois pas pourquoi il en irait autrement après le confinement.

Les Fragments de crise sont nés à la fois du besoin de saisir le bouleversement social en cours et de l’envie d’écrire contre les artistes reconnus observant le monde depuis des résidences secondaires, des appartements ou maisons dotés d’une superficie appréciable.

 

Fragments de Coimbra, extrait, 24 mars :

« Un couple d’avocats d’affaires respecte une quarantaine scrupuleuse à Turin. Au-delà même des mesures imposées par le gouvernement. Un mois en vase clos dont ils ne souffrent pas. Une gentille dame du quartier fait leurs courses dans les épiceries, les magasins bio, dépose le sac contre la porte, regagne son logis. Grâce à elle, ils ne perdent pas le fil, gardent la forme, tiennent leur dossier à jour. Ces deux-là sortiront plus forts de l’épreuve, reprendront le quotidien post-confinement sans dommages. Les gouvernements le répètent assez. Nous serions en guerre. Méfiez-vous des grands mots ! Un nouveau prolétariat émerge des ruines. Celui des aide-ménagères abandonnées à leur sort par les entreprises et l’État, qui leur octroie une maigre allocation de chômage. Maigre car cette armée de femmes n’a pas l’heur de faire partie des activités essentielles. Et comme il faut se sustenter, sustenter une famille entière, elles sortent, risquent leur vie, pour combler le manque, entretenir l’espoir des jours meilleurs. »

 

Crains-tu pour ta situation financière et plus généralement pour ton activité artistique après le confinement ?
La précarité est devenue structurelle et la frugalité une nécessité. Je m’étais débarrassé du superflu avant la pandémie. La situation d’urgence conforte certains choix.

 

Propos recueillis par Céline


Télécharger le PDF


Revue Bancal - Auteur

Commentaires


Les champs marqués d'un * sont obligatoires.