Artistes confinés #4 // Valéry Meynadier, écrivaine

Nous avons interrogé plusieurs artistes pour comprendre ce que le confinement changeait à la pratique de leur art. Comment l’obligation de rester enfermé.e impacte-elle leur créativité ? Quelles sont les conséquences pratiques et matérielles du confinement sur leur organisation, leur situation ? Bref, comment continuer à être un ou une artiste en temps de confinement !

Valéry Meynadier est écrivaine, elle anime des ateliers d’écriture et pratique l’art-thérapie, dans les hôpitaux psychiatriques, les prisons. Elle fait régulièrement des lectures de ses textes dans divers lieux culturels accompagnés de comédiens et de musiciens.

 

Dans quels états émotionnels te plonge le confinement obligatoire ?

« J’ai la nostalgie d’une de ces vieilles routes sinueuses et inhabitées qui mènent hors des villes… une route qui conduise aux confins de la terre… où l’esprit est libre…” Henry David Thoreau

 

Écrire, c’est se tenir aux confins de soi, des autres, pour, via le tracé parallèle du stylo, aller plus loin que soi, au détriment des autres… Les autres m’ont toujours manqué mais la solitude est la pitance de l’écriture, alors, avec le temps, si les autres me manquent encore, c’est avec joie & surtout, je les retrouve tous, sans qu’ils n’en sachent rien, aux terrasses de café ; si j’aime écrire aux cafés, c’est pour ça, divin mixte entre l’autre & moi ; entourée, j’écris.

 

J’avoue que les cafés passés à la trappe, ça me rend triste… Terriblement. Par bonheur, j’ai un chien, un border collie, à poils ras, black and white. Border, signifie frontière, en anglais. Ce chien est la frontière que ma solitude ne peut franchir. Écrivant cette phrase (je le jure !), elle arrive, c’est une femelle. Une ange poilue. Je sors souvent. Pour elle, je dis. En vérité, pour elle & pour moi, j’arpente les rues en vélo, avec elle à côté, parfois, elle se prend à faire des huit devant mon vélo & elle jappe comme si j’étais un mouton qu’elle devait faire rentrer dans le droit chemin… Donc, pour répondre au plus près de la question… Triste & ensuite en colère. Contre le monde !

 

 

« La terre a des limites, mais la bêtise humaine est infinie » disait Flaubert. Les abandons à la SPA. La ruée vers la bouffe dans les supermarchés. La montée des violences conjugales. & je pense aux taulards – & j’ai honte ; en plus des rats, des punaises de lit & toute la rocambole dégueulasse, le Covid entre en scène… & je ne parle pas des arrivées d’eau publiques coupées à Paris : « privant les sans-abris de la possibilité d’un brin de toilette comme de celle de s’hydrater en pleine pandémie. » Voici le lien : https://blogs.mediapart.fr/la-chapelle-en-lutte/blog/080420/les-arrivees-deau-publiques-sont-coupees-paris

 

Alors oui, une colère blanche !
Ennui ? Non, grand inconnu au bataillon de ma vie.
Espoir ? L’humain est un bouffon qui se prend pour le roi.
Peur ? J’ose croire que ma plus grande peur est derrière moi. Naître !
Joie ? Oui, Je laisse la place au printemps. Viens, installe-toi, sans nous, sans cris, sans les pots d’échappements, sans le piétinement perpétuel de tes fleurs, de tes insectes… Enfin, l’absence des êtres humains est à saluer.

 

Ces émotions sont-elles favorables à ta créativité ?

Depuis un mois & demi, environ, je suis plongée dans une réécriture, je palimpseste à corps perdu… Il n’y a pas d’écriture sans réécriture. Un mail des éditions du Seuil, mon manuscrit plaît mais la fin bâclée n’est pas dans leurs cordes & puis, le manuscrit, pas assez long… Le Seuil ! Champagne ! Aussi, confinée, déconfinée ou pas, je travaille Au banquet de tes os – état des lieux de mes impensables, sous forme onirique. C’est l’histoire d’une femme qui rêve de la Sierra Leone. Du Rwanda. De la Palestine. Elle fait le tour de son inconscient comme elle ferait le tour du monde, pour retrouver le corps d’une amie tuée par un snipper. Ce livre, je le dois à mes heures de natation. Respirer sous l’eau me met en contact avec un souffle qui n’est pas le mien. Ça peut paraître étrange. Ça l’est. Dans ma tête, pendant mes allers & retours, je pense ce à quoi je n’ai jamais pensé, ou si peu, si mal… Comme de sombres retards, restés retards que je rattraperai…

 

À part les terrasses de café, (& la piscine) rien ne change dans mon modus vivendi… Pas écrit une ligne ni même une note depuis le 17 mars. Ce n’est pas l’envie qui manque. J’ai juste quelque chose à finir… Bientôt fini, ouf… J’ai grand soif de me pencher à ma fenêtre, écouter ce qui vient, simplement… Au lieu de quoi, je suis bazookament tournée vers la refonte du manuscrit. Ce nouveau silence me tente, la qualité de l’air aussi, le fond de l’air bruisse autrement, & le soir à 20 heures, saisir à l’encre ces ondes qui me parcourent… Nous avons nos super héros pour nous sentir moins seuls. Je le dis sans ironie, juste avec lucidité. Le gouvernement se frotte les mains pendant qu’on applaudit. Au Brésil, à 20 h, les gens se mettent aux fenêtres, pour conspuer Jair Bolsonaro : https://www.courrierinternational.com/article/opinion-jair-bolsonaro-est-fini

 

Je veux écrire aussi l’histoire d’une amie, elle me raconte, de son balcon avec vue sur le grand cimetière de Montreuil, elle voit un renard sur un tombeau, perché, un énorme renard, sous la lune, expirer un sanglot d’orgasme… Il y a là le résumé de ce que je vais écrire, en cinq mots : renard, tombe, orgasme, lune & sanglots…
Ça germine dans ma caboche.
Mais avant…

 

L’obligation de rester chez toi te rend-elle plus prolifique ? Au contraire, l’enfermement et l’isolement t’empêchent-ils de pratiquer ton art ?

Je ne me sens pas obligée de rester chez moi car je reste toujours chez moi, à mon bureau, en vieille ermite, sauf quand je sors mon chien ou quand je vais griffonner, biffer, aux terrasses de café… Sauf, quand je vais nager. Sauf quand je fais des performances avec le Cabaret Hexen, au ScenoBar, à la Guillotine -Salle des Pianos, au Bab Ilo… Sauf, quand je rencontre Jos Volpe pour peaufiner la Revue Hexen*, dont je suis la rédac en chefesse. On se rencontre au café, à la Brasserie de la Croix de Chav’, autour d’une bière Black IPA aux notes rousses & amères…
Ça fait beaucoup de sauf !
Quand bien même tout ça a mis la clef sous la porte, des réserves en moi de tout ça…
Depuis la fermeture de potence de tous les cafés & restaurants par le premier ministre, Edouard Philippe, adieu la scène ! J’avais des dates, avec Dominique Bertrand** au Shakuhachi, avec Jean-Éric Mendengue à la trompette… On s’appelle, on se parle, on invente un autre rapport…
& puis la scène est un doux vertige volé aux heures qui infuse encore longtemps après. Ça vibre encore en moi. J’ai des vibrations de haute voltige dans la mémoire, sous haute tension pendant longtemps encorps.
On pourrait appeler ça : « l’effet couronne » qui détrône le corona***.

 

Valéry Meynadier et Jean-Éric Mendengue à la trompette

 

Mise à l’arrêt général. Mise en lumière différente.
Un peu d’éclipse ne peut pas faire de mal !
Pour preuve, mon laboratoire d’écriture à la Maison Populaire persévère, par courriels & bientôt WhatsApp. Cette mise en demeure renouvelle l’atelier d’écriture. De coutume, je me tiens à distance des textes produits, je fais acte de silence & d’écoute; là, puisque je reçois les textes en intimité, par e-mails, je suggère, je propose une réécriture & du coup, une façon inédite de travailler ensemble s’installe. Plus rigoureuse. Étonnamment, ça fait avancer le schmilblick.

 

Atelier d’écriture, maison populaire de Montreuil

 

Un livre aussi qui devait sortir aux éditions Al Manar, La morsure de l’ange – un recueil de poèmes, de grand amour… Après discussion avec mon éditeur, il verra le jour dans six mois & non pas, comme prévu en juin, pour le Marché de la Poésie…
L’essenCiel, c’est que ça se fasse. Qu’est ce que le temps ? Nous ne sommes pas en guerre ! Je prends des bains presque tous les jours en ce moment… Les bains mousseux noient l’angoisse… Armée de patience, je me tiens à la fenêtre comme l’oiseau sur sa branche… Je regarde le printemps, le ciel. Le bleu du ciel m’obsède en ce moment. Comment dire ce bleu ?

 

« S’armer de patience, combien l’expression est juste ! La patience est effectivement une arme, et qui s’en munit, rien ne saurait l’abattre. Sans elle, on est automatiquement livré au caprice ou au désespoir. » Émil Cioran

 

& puis, je lis, je lis beaucoup plus ! Je voyage immobile, en ce moment, dans Bondrée, d’Andrée A. Michaud :

https://next.liberation.fr/livres/2020/02/06/andree-a-michaud-tempetes-sous-deux-cranes_1777343
J’apprends à vivre en plus petit dans un livre ou bien sur ma feuille raturée qui s’agrandit… C’est peut-être l’aubaine pour se libérer de la tyrannie des besoins que la société de consommation nous fait gober ! Mon rapport aux choses a changé, moins utilitaire, plus contemplatif.
Je m’émonde.

 

Quelles solutions, quelles nouvelles habitudes as-tu déjà mis en place dans ton activité artistique ?

Cette approche forcée (& toutefois bienheureuse) du numérique m’oblige à un petit pas de côté, la toile rentre dans ma vie, la caméra s’active, je m’habitue… À quand l’implant dans le poignet ? Vade retro Internet ! La parano a du bon. Je tiens à mon corps, même si je le jette en pâture chaque jour dans les rues, partout, dans tous les regard croisés… Chez moi, une fois la porte close, fini la représentation… & puis je ne veux pas prendre le risque de disparaître une fois l’écran éteint. J’imagine le vide créé de toutes pièces si Internet, pffftttt, qu’est-ce qui se passerait ?
Le confinement est un pas de plus dans ce vide. Attention danger… Tu me diras, j’irais peut-être animer des labo d’écriture dans des centres de désintoxication numérique : « Alors, on ne lève pas trop son stylo, & le point sur le i, il est où ??! Allons, allons, ce pauvre O manque de fermeture, je dirais même de fermeté… » Je m’y vois déjà !

 

Le contexte sanitaire et la situation de confinement t’inspirent-ils ? Ressens-tu le besoin ou l’envie de t’exprimer sur l’épidémie et la situation ?

Si je me penche sur la calamité Covid, c’est pour Bancal, pour Céline, pour Marie, fidèles au poste, je réponds aux questions & tout de suite après, je reprends ma course méticuleuse jusqu’au point final… Bien sûr, je vais écrire ce prélude, 3 milliards d’humains confinés, du jamais vu ! Le monde me regarde. Ça pourrait commencer par une nouvelle, dans une taule… Ou bien une SDF en situation de confinement dehors… Un condé qui se remet en question suite à… A suivre, je ne sais pas… Des ombres d’histoires… Plutôt de celles passées sous silence… Rien ne change, l’innommable est mon défi… M’enfin, tout me semble innommable ! Ce ciel bleu ! Tout ce que je sais, c’est que l’écriture m’attend. Dans l’angle mort, elle observe… Une fois le point final posé, on se regardera dans les yeux, elle & moi &, à son service, prête, à vos marques…

 

Crains-tu pour ta situation financière et plus généralement pour ton activité artistique après le confinement ?

Le fric la thune le flouze, connais pas, m’en tamponne le coquillard, un peu plus d’oseille, un peu moins… Kif-kif… Écrire est un métier de pauvre. Dans le morlingue, juste de quoi grailler & du temps à profusion, mon luxe. Un temps dévoué à ce que je veux faire : écrire des romans, des nouvelles, des poèmes, traquer l’oubli oublié chez les oubliés & transmettre ce feu qui m’anime…
Le confinement dit, & en humble traductrice, je dois l’écouter, en folle œuvrière que je suis.

 

Propos recueillis par Céline

 

Valéry Meynadier, Maison des écrivains et Facebook

Ma mère toute bue et Centaure, romans, éditions Chèvre Feuille Etoilée

Divin danger, roman, éditions Al Manar

Présent défendu, recueil de poésie, éditions de la Villa des cent regards

 

*Hexen est une revue trimestrielle d’art et de littérature qui publie des textes de création (poésies, nouvelles, extraits de roman) et de réflexion (critiques, articles, enquêtes) : https://editionshexen.com/

**Dominique Bertrand, musicien voyageur et écrivain : https://www.facebook.com/dominique.bertrand.14

***Cet « effet couronne » est la conséquence de la présence de champs électriques importants. L’effet couronne se manifeste sous la forme de petites décharges électriques qui naissent dans l’air sous l’action d’un champ électrique important. Ce phénomène est susceptible d’apparaître lorsque le temps est orageux au niveau de pointes conductrices comme les mâts de bateaux, les piquets de tentes ou les piolets d’alpinistes, car ces pointes ont pour effet d’accroître localement, à leur extrémité, la valeur du champ électrique.
https://www.rte-et-vous.com/sites/default/files/cem/Fiche_16_l-effet_couronne.pdf


Télécharger le PDF


Revue Bancal - Auteur

Commentaires


  1. Immersion dans l’Univers particulier de Valéry Meynadier. Entretien très intéressant et vivant qui donne vraiment une image de qui elle est. Bravo

  2. Merci à Valèry pour la véracité de ces dires sans langue de putes
    il est rare aujourd’hui d’avoir de tel Artiste ,juste eux même en toute
    simplicité et profondeur.merci cela fait du Bien, merci le monde en a bien Besoin .

  3. Merci pour vos commentaires élogieux !

Les champs marqués d'un * sont obligatoires.