Artistes confinés #16 // Anne-Christine Roda, peintre

Nous avons interrogé plusieurs artistes pour comprendre ce que le confinement changeait à la pratique de leur art. Comment l’obligation de rester enfermé.e impacte-elle leur créativité ? Quelles sont les conséquences pratiques et matérielles du confinement sur leur organisation, leur situation ? Bref, comment continuer à être un ou une artiste en temps de confinement !

Restauratrice de tableaux de formation, Anne-Christine Roda s’inscrit dans la plus grande tradition des peintres portraitistes qui ont marqué l’histoire de la peinture, tradition à laquelle elle apporte une touche de modernité, la modernité de ses modèles mais aussi celle de son regard. Anne-Christine photographie ses modèles puis peint ses tableaux à partir des photographies. Grâce à une technique minutieuse et méticuleuse, à une maîtrise parfaite des effets de lumière et à son approche sociologique des visages, l’artiste livre des portraits hyperréalistes – ressemblant à s’y méprendre à de véritables clichés – où se lisent les parcours de vie et les émotions subtilement reproduites au creux des rides, dans l’intensité des regards ou dans le dessin d’un tatouage.

Une partie de ses œuvres sont actuellement exposées jusqu’au 31 juillet à la Galerie Courcelles Art Contemporain au sein de l’exposition collective Corps et âmes.

 

Dans quels états émotionnels t’ont plongée le confinement obligatoire ?
Les derniers mois qui venaient de s’écouler avaient été très compliqués. J’avais accepté beaucoup de choses et je m’étais mis une pression énorme. Un salon avait déjà été annulé, et mon exposition venait juste de commencer. J’ai ressenti une profonde déception après avoir réalisé tout ce travail. Tous ces efforts que j’avais fournis, et qui ne serviraient peut-être à rien, et en même temps, toute cette frustration intérieure m’est apparue bien dérisoire face aux inquiétudes légitimes que l’on pouvait avoir pour nos proches et la vie en général, mais aussi en ce qui concerne l’avenir et les changements profonds de notre société.
Il m’a fallu une bonne semaine pour sortir de cet état, arrêter d’écouter les informations en boucle et penser à l’après en mettant à profit cette période si particulière de ma vie.

 

Ces émotions ont-elles été favorables à ta créativité ?
Comme dans tous les moments difficiles, la création est mon refuge. Je ne suis pas du tout bloquée par l’anxiété, bien au contraire, les épreuves de ma vie ont souvent été un moteur pour me surpasser. C’est donc naturellement que je me suis replongée dans une forme de déni de tout ce qui pouvait se passer autour de nous. Je me suis installée dans une sorte de bulle créatrice et protectrice, et j’ai réussi traverser cette période avec beaucoup de sagesse finalement.

 

L’obligation de rester chez toi te rend-elle plus prolifique ? Au contraire, l’enfermement et l’isolement t’empêchent-ils de pratiquer ton art ? 
Je travaille chez moi, et passe la plus grande partie de mon temps dans mon atelier. De ce point de vue, ma vie a assez peu changé. J’ai la chance de ne pas avoir d’enfants en bas âge auxquels il aurait fallu faire la classe donc, au final, j’avais presque moins de contraintes et pouvais passer de longues heures ininterrompues à travailler dans mon atelier.

 

Quelles solutions, quelles nouvelles habitudes as-tu déjà mises en place dans ton activité artistique ?
Les nouvelles habitudes sont minimes, mes horaires de travail se sont décalés petit à petit et il n’y a plus eu vraiment de week-ends, de pause.
Heureusement, je suis assez organisée, et j’anticipe toujours les tableaux qui vont suivre. J’avais donc tout le matériel nécessaire pour tenir la cadence et mes objectifs en matière de production.

Ma galeriste, qui a été très présente et active pendant ce confinement, a cherché d’autres façons de travailler. Les gens étaient très présents sur les réseaux sociaux, et donc très attentifs aux nouvelles créations et initiatives. Nous avons beaucoup utilisé ces outils pour faire vivre l’exposition malgré tout, au travers de chroniques régulières, de visites virtuelles immersives comme si les clients étaient dans la galerie, etc.

 

Le contexte sanitaire et la situation de confinement t’inspirent-ils, influencent-ils déjà ta production artistique ?
Ma peinture n’est pas du tout influencée par l’actualité ou les événements mais, d’une certaine manière, les prochains tableaux porteront un peu des contraintes du confinement. J’ai en effet fait beaucoup de photos durant cette période et le seul modèle disponible était… ma fille.

 

Crains-tu pour ta situation financière et plus généralement pour ton activité artistique après le confinement ?
Étrangement, malgré le confinement, l’exposition actuelle a très bien marché, mes inquiétudes à ce niveau ne sont donc pas immédiates mais, bien sûr, on peut s’interroger sur la suite et le peu de soutien qui est apporté une fois de plus à notre secteur. Il est bien connu que les artistes n’ont pas besoin d’argent… Non, plus sérieusement, nul ne sait quand la crise se dissipera, et notre statut d’artiste continuera à être malmené, car il ne semble pas être la priorité absolue de nos politiques.
Je garde néanmoins de grands espoirs sur le besoin de l’art dans nos vies, peut-être encore plus qu’avant, et j’ai plus que jamais envie de continuer à me battre pour faire exister ma peinture, et l’art en général.

 

Propos recueillis par Céline

Avec l’aimable collaboration de Véronique Adrai, galeriste (Galerie Courcelles Art Contemporain)

 

Pour suivre le travail d’Anne-Christine Roda

https://www.annechristineroda.com/

Instagram : https://www.instagram.com/annechristineroda

Exposition en cours jusqu’au 31 juillet « Corps et âmes » à la Galerie Courcelles Art Contemporain, 110 Boulevard de Courcelles, 75017 Paris

 

Raphaëlle (détail), ©Anne-Christine Roda

 

Le gilet vert (détail), ©Anne-Christine Roda

 

Bathroom II (détail), ©Anne-Christine Roda

 

Nadine (détail), ©Anne-Christine Roda

 

Magdalena (détail), ©Anne-Christine Roda


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Revue Bancal - Auteur

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