Art-thérapie // Valery Meynadier, l’artiste du mois

Tous les mois, nous vous proposons de découvrir un.e artiste sous la forme d'un portrait, d'une interview ou à travers ses propres mots. L'objectif est de faire connaître son travail et son univers artistique mais aussi son parcours, ses envies et ses réflexions sur l'art et l'acte de création. L'occasion pour nous de partager nos coups de cœur et de vous présenter les artistes passionnants et prometteurs que nous rencontrons. Conversation avec notre artiste du mois, Valéry Meynadier, écrivaine, animatrice d’ateliers d’écriture et art-thérapeute.

Valéry, tu es actuellement médiatrice artistique à la maison d’arrêt de Fresnes. Peux-tu nous en dire plus sur les ateliers que tu animes ?

J’anime des ateliers en prison dans un cadre bien particulier que je crée en mettant en place du possible au sein des contraintes institutionnelles & de nos fonctions réciproques, moi, art-thérapeute & eux participants écrasés par l’institution pénitentiaire.

 

Avant d’atteindre la pièce où va se dérouler l’atelier, je dois traverser moult couloirs, présenter mon laisser-passer deux fois, souvent attendre que telle porte s’ouvre, car sans raison apparente, elle reste fermée; d’or est ma patience. Quant aux participants, ils peuvent avoir attendu une heure ou deux, car les surveillants viennent les chercher parfois à 7 heures pour l’atelier d’écriture qui commence à 9 heures, dans une espèce de salle d’attente de 8 mètres carrés sans chauffage à dix ou vingt, histoire de les dégoûter de revenir.

 

Donc pour la médiatrice & les participants, il s’agit de danser au milieu des contraintes, stylo en main avec pour partenaire la feuille & du mieux possible tenter de faire sienne une fine concentration car j’ai omis de parler du bruit en milieu pénitentiaire… Comment réunir les meilleures conditions de travail, d’avoir envie d’écrire, de lire, de bouger ? Le mot thérapeute en grec veut dire soigner. Soigner ce n’est pas guérir, c’est prendre soin & je prends tout particulièrement soin du cadre dans lequel seront les participants.

 

Je prends soin de la Stimmung, c’est à dire de l’ambiance. J’ouvre toujours les fenêtres. Parfois, je ramène des croissants. J’essaie dans un premier temps d’installer mon propre silence, je ne parle pas de suite, je leur sers la main, prénom en bouche & je les laisse ensuite prendre place, se saluer, parler entre eux, me regarder ou me toiser selon, & je leur souris à chaque fois.

 

Ils n’arrivent jamais tous en même temps & souvent, je dois aller les chercher auprès du surveillant. C’est important  pour moi d’aller demander ceux qui manquent car les présents voient l’importance accordée aux absents. Une empathie se dessine ; ils sont dans la peau de celui qui n’est pas là. & je ne cache pas ma déception de n’avoir pu obtenir la venue d’untel ou d’untel, & ils m’en savent gré. Ainsi se tisse une complicité qui m’aide à tenir le cadre. Je ne viens pas seulement animer un atelier. Je tiens à chacun d’eux, à la présence de chacun d’eux.

 

Est-ce que les détenus s’inscrivent volontairement à tes ateliers ?  Qu’est-ce qu’ils viennent y chercher selon toi, que leur apportent l’écriture et l’acte de création ?

Oui, ils s’inscrivent de leur plein gré mais ce n’est pas pour écrire, c’est pour sortir de leur cellule & pour passer le temps. Aussi pour obtenir une Réduction de Peine Supplémentaire pour « efforts sérieux de réadaptation sociale ».

 

A moi de leur rappeler qu’ils sont là aussi pour écrire & plus encore, à moi de leur donner envie d’écrire. Comment déjouer la mort des mots ?  Car écrire, pour la plupart, c’est inscrire des mots morts sur le linceul de la feuille blanche. Je parle de moi, de mon métier d’écrivain, de ma passion d’écrire & petit à petit ils quittent l’abstraction des mots pour rentrer dans la chair des mots. Je mise sur ma capacité de rêver l’atelier avec eux afin de leur donner accès à une représentation d’eux-mêmes moins négative. La plupart sont persuadés de ne pas savoir, de ne pas pouvoir écrire.

 

Au fil du temps, ils reviennent pour y trouver une incertaine douceur. Une bienveillance certaine. Du groupe. De moi qui suis femme. La mère prête son langage à l’enfant pour qu’il parle, pour qu’il rêve. Je fais de même avec les participants, les taul’arts, car la pratique a fait de l’écriture ma patrie, mon exil, ma vocation. Je leur prête mon acte de naissance à l’écriture, ma joie au langage pour qu’ils répondent présents.

 

& chacun, petit à petit, à sa façon répond présent mais pas d’un présent scolaire, les fautes d’orthographe, sœurs de Méduse, sont les bienvenues, les pauses clopes également… La plupart ont une image bien piètre d’eux-mêmes d’où les gros muscles pour voiler leur insécurité psychique. La plupart sont mal dans leur peau. Ce sont à mes yeux des lascars-limites, pas des états-limites. S’ils sont là, c’est qu’ils ont franchi une limite. Si l’écriture peut devenir une limite, une ligne où se tenir en déséquilibre pour ne plus tomber là-dedans, pour ne plus tomber en taule, tant mieux. Par l’écriture il est possible de se construire un lieu, un espace vivant où être en paix, respirer, se sentir vivant.

 

Quant à l’acte de création, c’est surtout le processus de création que j’essaie de faire sentir, le fait d’être dans le faire… Faire quelque chose qui nous transforme. Ecrire nous transforme de l’intérieur & de l’extérieur. Quand l’Un se lève & lit son texte, il est vu différemment des autres. & il se verra différemment dans les yeux des autres. On n’écrit pas. On fait, au sens de faire un texte. Comme le laisse entendre l’étymologie du grec poiein qui signifie : faire, créer & qui a donné le terme de poésie. Faire un texte c’est œuvrer à la poésie. A sa poésie intime, à soi, & s’il se peut à la poésie du monde.

 

Privilégies-tu des thèmes en particulier, des formes d’écritures ou des contraintes précises, lors de ces ateliers d’écriture ?

Au début des ateliers, histoire d’éviter la peur de la feuille blanche, je donne des thèmes.  Pas de thème en particulier, non. Ça peut être sur les mémoires implicites, par exemple, autour de « je ne me souviens pas ». Un autre jour, ce sera un texte sur la météo, qu’est-ce que le vent ? La neige ? La pluie. Mettez en scène ce grand IL – il pleut, il neige, il fait du vent… & petit à petit, j’enlève les thèmes. Je laisse place à des consignes formelles, sans thème aucun, pour que l’histoire qui se déroule appartienne davantage à l’écrivant ; ainsi pourra-t-il mieux se réapproprier son imaginaire. Ecrire de droite à gauche. Ecrire en petite graphie minuscule. Ecrire sans espace entre les mots. Sans A. Sans point. Le thème a disparu. Place à leur thème à eux.

 

Quelles sont les différences entre le  public de détenus et  un autre public ?

Bah la liberté. Un être privé de liberté est un être humilié. La peur aussi est au rendez-vous. Une peur larvée, palpable chez certains. Je gère en instaurant une confiance & un acte de présence. Je suis totalement avec eux. Si je sens la moindre dérive, je m’interpose, je dis stop & je suis respectée, ils écoutent ma parole. Au tout début donc, on travaille la confiance, l’acte de présence, car beaucoup font acte d’absence au début, là sans être là. Via le regard, le sourire, je les invite à venir ici parmi nous, dans l’atelier, à prendre le stylo…

 

Si je fais confiance, ils sont obligés de prendre cette confiance même si ça brûle les doigts de certains.  Quelqu’un qui vous fait confiance c’est quelqu’un qui vous voit. Ça fait quoi d’être vu quand on est en prison ? Ça brûle. Mon atelier, c’est écrire cette brûlure, l’extraire de soi. Dans un premier temps, ne pas se retrouver seul avec… Dans un deuxième temps, c’est en faire quelque chose. & dans un troisième temps c’est rentrer en contact avec cette confiance si faillible car quelque chose de positif a été fait, si petit soit-il… Il y a là un seuil, un début de socle de confiance. & la confiance donne l’amorce du sujet. Par exemple, quand je vais les chercher auprès du surveillant, je laisse toutes mes affaires, manteau, sac, carnet sur la table. Je n’ai jamais eu de problème.

 

Les détenus sont plus fragiles que ceux qui sont dehors. Si l’atelier se passe mal, ces derniers pourront digérer dehors. Les détenus, eux, retournent dans la cellule. & je me sens responsable de ces deux heures passées ensemble… Avec des gamins par exemple ou bien des adultes, j’anime l’atelier, je fais en sorte que tout se passe bien, que le public ressorte avec une réflexion sur l’écriture, sur lui, sur tel auteur… Avec les taul’arts, c’est ici & maintenant comme nulle part ailleurs car ils n’ont pas d’ailleurs. C’est une différence de taille.

 

Sinon avec eux comme avec les autres, ma tâche c’est la quête d’un « je » revisité, revigoré, rendu à lui-même, si besoin, à travers l’impulse créateur. Appuyée sur deux axes majeurs : La présence & la confiance. Mettre en relief la présence, le présent, c’est faire entendre au sujet que si tout était vrai jusqu’à maintenant, le malheur, la prison, la honte, etc. ; l’écriture peut faire en sorte que tout change.

 

Y-a-t-il des blocages, des freins de la part des détenus ? Comment tu y fais face ?

On a tous besoin de béquille. Certains, ce sont les stylos, la musique, la danse, etc. ; d’autres, c’est la seringue, la bouteille, internet, le mensonge, etc. En prison, la béquille, c’est le cannabis & le téléphone qu’ils se font prendre régulièrement dans les fouilles. Qui dit taul’arts dit addiction à des substances. La vraie question de l’addiction, c’est : derrière ce manque visible, quel autre manque invisible se cache ? Car le manque était souvent là avant la prise du produit. L’addiction, c’est dépendre de… & d’une certaine façon, c’est être moins seul. Car dépendre c’est répondre à quelque chose. & répondre c’est une façon d’exister. La substance c’est vouloir se faire du bien au début.

 

J’ai eu beaucoup de mal à accepter le pétard dans l’atelier. Je le tolère maintenant. La première année, c’était hors de question. Du coup, je me suis transformée en gendarmette, il fallait régler le conflit tout le temps. Un calvaire. La deuxième année, j’ai dit ok, un bédeau pendant la pause, pas deux. Ils s’y tiennent. J’ai dû céder. Ils en ont besoin & je ne suis pas infirmière, ni flic. Je me place à l’articulation du soin & de la créativité, entre la cicatrice & la signature.

 

Je ne pense pas qu’on se retrouve en prison si le début de la vie a été choyé, si les parents ont su répondre présents ; il y a bien sûr des exceptions mais j’ai accès via les textes à une certaine intimité ; pendant les pauses, ils parlent aussi & croyez moi, j’ai tremblé plus d’une fois. Des enfances où la maltraitance si banale devient la norme.  Mais le plus dur pour moi, ça a été le oui au cannabis. Autrement, pas vraiment de blocage, de freins, car ils viennent de leur plein gré.

 

Fais-tu appel à d’autres formes artistiques (mime, danse, chant, etc.) lors de tes interventions en prison ?

Avec ce groupe de taul’arts Fresnois, j’ai pu élaborer un concept d’écriture corporelle. Du micro théâtre. En fonction des besoins pressentis, & de la présence grandissante au cœur de l’atelier, j’ai senti que l’écriture pourrait servir de support au corps. Comment accompagner l’autre dans une conscience de son corps ? Il se pourrait aussi que l’écriture corporelle soit une invitation au jeu/je.

 

Le protocole de l’écriture corporelle, c’est de mettre en place un circuit partant du stylo & de la feuille blanche jusqu’à la mise en mouvements plus ou moins fidèle ou très infidèle, de ce qui a été écrit… Le corps se met au service de son propre texte. Ce qui donne une mise en confiance certaine. Les yeux, les mains, les pieds interagissent. Le démembrement cesse petit à petit. Un corps au fil des lettres se recompose. Je l’ai vu de mes yeux vus. Quand la connexion entre corps & esprit se fait, ça peut donner de la poésie. & la poésie transforme la perception des sens. La poésie renforce la liberté d’être pour soi, au monde. L’écriture corporelle peut aussi faire appel au masque neutre, au collage, à la musique…

 

Ecrire, c’est devenir musicien de sa propre langue, d’où mon désir de faire l’atelier « La théorie du sonore », avec Dominique Bertrand, musicien-thérapeute intervenant à l’Inecat, mon école d’art-thérapie. Beaucoup de taul’arts ont un lien fort avec la musique, la médiation rythmique est un atout majeur. Mais n’étant pas musicienne, je n’ose pas encore. & puis amener un magnéto en prison, un instrument, c’est difficile car il faut demander des autorisations.

 

Le point de mire de mes ateliers est le mi-dire, ce qu’on ne peut pas dire tout à fait & qui nous dit (le symptôme), ce qui se dit à travers nous & peut être d’y mettre un point à ce mi-dire qui se dit à demi, d’une façon ou d’une autre, via les mots, le corps, les masques, le collage, etc.
Je ne vise pas le point final.
Juste un point.
(de suture.)

 

 

Exemple d’atelier :

« Pensez à l’eau. c’est quoi l’eau ? Une matière faite de molécules, le fer est composé d’atomes de fer & nous aussi, nous ne sommes que de la molécule en mouvements. Qu’est ce qu’on fait avec ça ? On est des sacs de molécules. & blabla…
Voici venir le temps de la lecture.
D. commence, c’est un texte autour de la natation, il parle d’une feuille d’automne tombée au fond d’une piscine, & comment la matière feuille & la matière eau se rencontrent… Soudain il se lève & sans rien dire, sans façon enlève sa veste & sans un mot se prend à faire du crawl dans l’air.

Oui, un homme nageait dans l’air !

Pour enfin ouvrir la bouche au bout de deux minutes, pour nous dire, tout en continuant de nager qu’il fallait penser au coude. Ces collègues ne parlaient jamais du coude. Tout le secret était là pourtant. & de pointer le coude vers le plafond. De me demander dans un mouvement de natation, à moi, à chaque fois qu’il tournait la tête, si je pointais bien mes coudes au ciel ?
 J’ai bafouillé ne pas savoir, éberluée par la matière dans laquelle il nageait. 

Tonnerre d’applaudissements.

F. le corse est ahuri, les yeux grands ouverts, il me dit qu’il en a vu des choses en prison mais là, ça dépasse tout. La Corse qu’est ce que c’est beau, dit l’un. F. de répondre, taquin & taciturne : je sais, c’est pour avoir voulu la sauver cette beauté que je suis ici. Je respire. Il ne se rend pas compte de ce qu’il dit : sauver la beauté, c’est se retrouver en prison ?

Là, à cet instant précis, personne n’était indemne de la beauté du monde. & sentir cette beauté, c’est peut être éprouver le désir de la retrouver sous d’autres formes. C’est peut être ça le processus de créativité. Une beauté en train de se faire. Une beauté en route. »

 

 

As-tu des projets littéraires ou artistiques ?

Oui, bien sûr. Je suis en train d’écrire un roman qui se déroule à moitié en prison, à moitié en Grèce.

Je viens de créer une association « Le plus vieux silence du monde » pour les enfants des parents qui se prostituent ou se sont prostitués. Ça n’existe pas dans le paysage français.  C’est  véritablement le plus vieux silence du monde – les enfants des filles de la nuit observent un pieux & furieux silence. L’association a pour vocation d’écouter & de faire parler, via des groupes de paroles & d’autres dispositifs, les enfants, les adolescents & les adultes qui ont eu ou qui ont encore des parents qui se prostituent.

 

Je fais aussi beaucoup de lectures de mon dernier livre Divin Danger, dans divers lieux parisiens (théâtre, librairies, etc.) avec l’auteur et comédien François Negret qui organise des soirées baptisées Flêche la Chair et souvent accompagnée par Dominique Bertrand à la flûte basse & au shakuhachi (flûte japonaise).

 

& bien d’autres livres encore à écrire, outre ceux déjà écrits & qui attendent de rencontrer l’éditeur…

 

 

Propos recueillis par Céline

 

 

Romans
Ma mère toute bue, éditions du Chèvre Feuille-étoilée (2007)
Centaure, éditions du Chèvre Feuille-étoilée (2010)
Divin Danger, éditions Al Manar, dessins d’Albert Woda (2017)

 

Poésie
Présent Défendu, éditions La villa des cent regards (2008)

 

Nota bene

« L’esperluette (&) est un signe qui résulte de la ligature des lettres e & t, pour abréger le mot « et ». J’aime cette idée de ligaturer des lettres entre elles. & puis dans ligature, il y a l’écho de la rature & de la signature qui viendrait de la cicatrice. Dans mon imaginaire, ce & serait comme la mue d’une cicatrice en signature. »


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Céline Chartier - Auteur

Céline est éditrice et co-fondatrice de la revue Bancal.

Commentaires


  1. Nécessaire et intelligent c est beau ! Merci Valery

  2. bonjour, vos explications et réflexions sont très intéressantes. Pour les détenus, je pense que ces moments passés ensemble sont très bénéfiques. Merci.

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