Art // Pensées jetables
06/02/2019
Barbara Portailler recueille les mots et les pensées que l’on note sur un coin de papier, plus particulièrement sur des supports jetables, comme les post-it. A travers le recyclage de ces objets du quotidien, l'artiste s'intéresse aux pensées d'une collectivité, d'une communauté : celle d'une entreprise, d'une association ou encore d'un tiers-lieu. Dans sa série photographique "pensées photogéniques", l'artiste questionne les liens entre les pensées collectives et individuelles, entre les souvenirs jetables et la mémoire d'un groupe. #lartistedumois
Nous avons eu la chance de rencontrer Barbara Portailler, artiste plasticienne et chercheure, en résidence permanente au 6b, lieu de création et de diffusion à Saint-Denis. Elle nous a exposé son travail sur la récupération d’objets ordinaires, ses performances participatives et ses installations éphémères et en mouvement. Nous avons pu participer à l’installation en cours issue de son travail « Pensées photogéniques ».
L’artiste réalise pour chaque collectivité un portrait qui prend la forme d’un collage géant : une installation de 576 post-it usagés, qui forment un carré multicolore de 2 mètres par 2,20 mètres. Dans ce projet, chaque membre de la collectivité est invité à participer, à sélectionner et à offrir ses post-it usagés, quitte à rayer les informations confidentielles ou qu’il/elle ne souhaite simplement pas divulguer. Le matériel n’est pas expressément écrit pour la réalisation de l’œuvre. Les notes sont sauvées de la poubelle, décollées de l’endroit où elles se sont retrouvées épinglées : un écran, un bureau, un socle de téléphone, un mur.
Les post-it exposés produisent ainsi un tableau unique et propre à la collectivité, sur la forme – en fonction des couleurs utilisées, des encres de stylos, de la taille des écritures, mais surtout sur le fond – en fonction du vocabulaire, du jargon, du type d’informations (chiffres, textes, dessins) qui sont représentatifs d’un univers ou d’un domaine d’activité. A partir de toutes les pensées individuelles d’un groupe, l’œuvre constitue alors une image instantanée des souvenirs communs, une cartographie de l’intelligence collective d’une communauté.
L’installation devient participative lorsque les individus sont appelés à déplacer les post-it, comme par exemple pour associer ou dissocier les couleurs et les mots. L’artiste peut également leur demander de décoller progressivement les bouts de papier pour en faire des origamis qu’ils placeront à l’intérieur d’un carré au sol, point de départ d’une nouvelle installation en construction. A travers cette nouvelle œuvre, Barbara Portailler s’intéresse au cycle de fabrication de nos objets en le reliant aux cycles de la nature.
Nous avons beaucoup aimé dans le travail de Barbara Portailler l’idée très poétique de garder une trace matérielle des souvenirs et des pensées immatérielles. D’archiver de façon durable une mémoire éphémère et en mouvement, d’habitude vouée à circuler rapidement sur les réseaux sociaux, par mail ou par chat. Il est enrichissant et salutaire de prendre le temps d’observer ce que nous échangeons, comment et pourquoi nous l’échangeons avec les autres.
Le projet mené au sein d’une collectivité permet d’explorer les liens entre l’individu et le collectif. Il met en lumière ce qui lie et rapproche les individus à travers un vocabulaire spécifique ou bien des préoccupations communes. Chaque tableau est une représentation visuelle d’un groupe à un temps t. La série photographique compilant l’ensemble des portraits pourra alors s’apparenter à une forme de reconstitution sociologique des communautés et des lieux de vie de notre époque. Sans être complètement similaire, cette démarche artistique nous rappelle celle du photographe August Sander à travers son œuvre « Hommes du xxe siècle » construite sur une trentaine d’années qui dresse à partir de plusieurs centaines de clichés un panorama de la diversité des groupes sociaux en Allemagne à l’époque de Weimar.
Céline
Barbara Portailler T.A.B.
Le 6b, 6-10 quai de Seine, Saint-Denis
www.tabimagines.com
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Compte instagram www.instagram.com/barbara_tab_portaillerActualités :
Exposition, du 22 mars au 27 avril 2019 : « Autant en emporte le temps« , à partir de livres usagers destinés au pilon, au sein de l’exposition collective « Tisser votre mémoire« , Centre des arts Rosa Bonheur, Chevilly-Larue (94), vernissage vendredi 22 mars à 18h30.
Résidence de recherche à Berlin en juin-juillet 2019, dans le cadre d’un programme de recherche pluridisciplinaire (art, sciences sociales, sciences politiques) « Pensées Françaises Contemporaines« , sur la diversité de la pensée scientifique française.
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