Premiers frémissements aux rencontres transversales

Mardi 3 novembre 2015, au Centre d’animation Victor Gelez à Paris, une quinzaine de personne se sont réunies pour la première des Rencontres Transversales.

Mardi 3 novembre 2015, au Centre d’animation Victor Gelez à Paris, une quinzaine de personne se sont réunies pour la première des Rencontres Transversales.

 

Si au début la parole était timide, dès que la discussion s’est orientée sur la présentation des 4 spectacles proposés à la Loge jusqu’à fin janvier 2016, le dialogue s’est ouvert et très simplement les  participants, les organisateurs (le collectif de recherche  Open Source et l’équipe de la salle La Loge), les 4 compagnies programmées et les spectateurs, se sont mis à parler. A la fin de la rencontre, des discussions croisées se sont poursuivies sur le trottoir ou autour d’un verre…

Rencontres transversales

On retiendra de ces premiers échanges l’enthousiasme communicatif avec lequel chaque compagnie a dévoilé son projet, son désir artistique, sa manière d’aborder le travail, mais aussi ses difficultés, ses hésitations, ses doutes, et comment cela éveillait chez d’autres curiosité, amusement, empathie et désir. Plus besoin de savoir qui fait quoi, qui se connait, pour se parler et se dire ce qui, artistiquement, nous intrigue, nous parle, nous questionne, nous nourrit.

Étonnamment, sans que les compagnies (pour la plupart encore en pleines répétitions) se soient concertées, quelques thèmes transversaux ont émergé d’un spectacle à l’autre. Des coïncidences qui témoignent de l’approche mise en place par cette  jeune création, en tout cas qui témoignent de l’ère du temps, aussi bien dans le monde artistique qu’ailleurs :

 Croiser le jazz et le théâtre. Le metteur en scène, Frédéric Jessua (Cie La Boîte à outils), qui a débuté sa carrière par la musique, cherche à « brouiller les genres », en croisant Le Chanteur d’Opéra de Frank Wedekind, avec un concert-spectacle de jazz . Il envisage déjà, après cette série de dates à La Loge, de retravailler cette rencontre : « On va déjà regarder la palette : du bleu d’un côté, du rouge de l’autre. On verra plus tard comment faire du violet. » Alexandre Zeff (Cie Camara Oscura), lui, cherche à faire du violet en croisant 3 musiciens de jazz et 2 acteurs sur le plateau de Big Shoot de Koffi Kwahulé. En mélangeant partition musicale et textuelle, ces artistes semblent retrouver la source d’inspiration et l’énergie de l’auteur. Plus tard dans la saison, Brune Bleicher proposera aussi une version jazz de 4.48 Psychose de Sarah Kane.
Jazz et théâtre, déborder du cadre, brouiller les genres, improviser ou pas, etc., il y a quelque chose là-dessous, pas encore formulé, un enjeu qui s’éclaircira sans doute quand on verra les spectacles.

« Faire d’un spectacle plusieurs formes ». L’expression est de Victor Thimonier (Cie Claire Sergent), le dramaturge-vidéo de En même temps, pièce d’Evgueni Grichkovets mise en scène par Chloé Brugnon. Le projet va renoncer à sa scénographie et vidéo pour les dates à la Loge, afin de se concentrer sur l’acteur et sa relation avec le public. Ce n’est pas une solution par défaut, mais bien l’envie d’explorer différentes formes possibles d’un même spectacle. Tout comme le projet Tiers Couille (le TAC et DDN), qui propose de partir de deux conférences-spectacles distinctes, Pourquoi les comédiennes sont casse-couilles ?, proposition de Morgane Lory sur la condition des femmes à travers la figure de l’actrice et Tiers Paysages de Nadège Sellier sur les paysages et les espaces délaissés, pour en faire émerger une forme hybride. Leur moteur : la volonté de re-développer leurs deux spectacles sous une nouvelle forme.
Une forme d’esthétique de la résilience, peut-être, dans un monde confronté à la précarité et au changement, qui permettrait d’en faire un atout ?  

Rencontres transversales

Collision/hybridation. Le mot est revenu plusieurs fois. La collision, rencontre à la fois potentiellement violente et jubilatoire. Collision des deux spectacles de Nadège Sellier et Morgane Lory pour accoucher Tiers Couille, collision du jazz et du théâtre pour Le Chanteur d’Opéra, collision entre le spectaculaire et la réalité  pour Big Shoot, et collision de tout ce qui peut se passer dans la tête d’un homme en même temps (d’où le titre du dernier spectacle proposé). Il semble que pour pas mal d’artistes, la rencontre s’envisage sous le signe de la collision plus que de l’hybridation – à part peut-être pour Big Shoot, qui cherche comment justement hybrider jazz et texte.
Faut-il y voir le miroir d’une époque qui a tendance à appréhender l’identité comme un état figé, la différence comme une confrontation, et l’échange comme un jeu de rapports de forces ?

L’envie de proximité. Presque tous, dans la discussion, ont à un moment ou à un autre exprimé leur envie d’établir un lien de proximité avec le public, de travailler sur ce lien pour l’intensifier. Évidemment, on peut attribuer cela aux contraintes de La Loge, qui, comme son nom l’indique, n’est pas grande. Mais il y avait plus dans les paroles exprimées : un véritable projet, un désir, un élan.
Comme s’il était essentiel aujourd’hui de réinjecter du lien, de réduire les distances entre les personnes.

Les conditions budgétaires orientent la création. Les contraintes matérielles, et surtout budgétaires, de la création ont été aussi plusieurs fois abordées. Non pas pour se complaire dans l’habituelle plainte du créateur sans moyens mais bien pour scruter ce qui oriente des choix artistiques. Comment, par exemple, l’improvisation, le jazz, la place laissée à l’imprévu sont aussi liés au fait que lorsqu’on n’a pas les moyens de payer son équipe pour les répétitions, on jongle beaucoup plus avec les emplois du temps de chacun pour trouver des créneaux communs. Que signifie jouer un texte récent mais déjà créé, comme En même temps qui tente de combler le vide de subventions, qui vont soit aux classiques, soit aux nouveaux textes créés pour la 1re fois (et pas pour la 2ème). Ou encore, comment l’utilisation de la vidéo finit parfois par être dévoyée à force d’être associée à un discours sur les nouvelles technologies qui est source de subventions potentielles. Il y aurait long à dire sur l’influence que peuvent avoir les co-producteurs (et particulièrement les institutions, les subventionneurs) sur la nature même de la création artistique, sur la responsabilité pas seulement matérielle mais proprement artistique qui en découle.
Espérons qu’à terme ces partenaires, et d’autres acteurs du paysage culturel participeront aussi à ces Rencontres Transversales, afin d’ouvrir et d’intensifier nos échanges artistiques. Déjà ces premières rencontres étaient bien douces : oui, ça fait du bien de se sentir réunis par un désir partagé et en perpétuel mouvement.

Mathieu Huot, Collectif Open Source

Les prochaines rencontres auront lieu à la Loge après la représentation de Tiers-couilles de Morgane Lory les 18 & 19 novembre.


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Charlotte PALMA - Auteur

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